Si le 8 mai 1945 est synonyme pour les Français de libération du régime fasciste de Vichy et du joug hitlérien, cette journéefonctionne autrement dans la mémoire collective algérienne. La joie et l'allégresse affichées par la caste coloniale et telles que restituées hier par les médias français tranchaient singulièrement avec la terreur, l'effroi et l'horreur imposés cette même journée aux populations de Sétif et de Guelma. Sortis pourtant, comme partout ailleurs, pour exprimer leur fierté d'avoir contribué à faire tomber le nazisme et leur soif de liberté, les manifestants du Constantinois subirent dans leur chair les affres d'une répression des plus génocidaires. Le bilan de cette barbarie inqualifiable s'élèvera à 45 000 morts. De ces victimes, il n'en a été nullement question dans les différents reportages des médias lourds français conçus, il est vrai, pour conforter des thèses saupoudrées de la prétendue mission civilisatrice de l'empire colonial français. Il ne pouvait en être autrement. Après les incidents de Ksar Chellala (18 avril 1945), rapportés par Benyoucef Ben Khedda dans les Origines du 1er Novembre 1954, des Algériens sont tombés à Alger et à Oran le 1er mai 1945 avec, à leur tête, des scouts et des syndicalistes déployant des banderoles réclamant la libération de Messali Hadj et celle de nombreux détenus croupissant dans les geôles françaises, tout en lançant des slogans incisifs où colonialisme et impérialisme français sont particulièrement stigmatisés. Soixante ans après, Hubert Colin de Verdière informe le monde que la République française reconnaît désormais les massacres qui eurent lieu le 8 ami 1945 à Sétif et dans une grande partie du Constantinois au moment même où le monde libre célébrait la défaite des armées nazies et la victoire des Alliés auxquelles avaient, pourtant, pleinement contribué les meilleurs enfants d'un pays victime d'un acte génocidaire inqualifiable. Avec Jean-Marie Lamblard, il est aisé de dire soixante ans, c'était hier. Les générations se souviennent. L'enfant terrorisé est là, présent dans l'adulte qui vit et se remémore. À l'image de Rachid Bouchareb ou plus récemment de la documentariste Yasmina Adi qui, en réalisant l'Autre 8 mai 1945. Aux origines de la guerre d'Algérie, est parvenue à confronter les récits de témoins français et algériens aux archives du gouvernement français et des services secrets américains et britanniques. Des recherches et des revendications de vérité sur le passé colonial qui ne vont pas sans soulever la chape de plomb qui s'est abattue sur les événements de mai 1945 dans le Constantinois. N'en déplaisent aux médias lourds français, l'histoire rattrape toujours les criminels de guerre.