En Algérie, quatorze mille mosquées sont debout, peut-être un peu plus, cinq mille quatre cents autres en construction, peut-être un peu plus, Dieu merci, El Hamdou li Lah. Et nous attendons la grande mosquée d'Alger, la plus grande en Afrique. Mais, en réalité, que signifie le concept “mosquée” dans l'imaginaire historique musulman? La mosquée, dans l'histoire de cette terre d'islam, est un espace multidisciplinaire. Bien sûr, elle est conçue pour prier Dieu, parce qu'elle est considérée comme “la maison d'Allah”. Mais le plus important, peut-être, c'est que cet espace est fait et destiné pour propager la culture, la littérature, l'éducation, pour la science, toutes les sciences. L'histoire de l'intelligentsia arabo-musulmane est faite ainsi. Les célèbres poètes, les philosophes, les mathématiciens, les sociologues et les grammairiens ont tous fait et foulé le chemin de la mosquée, tous sont passés par la haçira (tapis d'alfa) de la maison d'Allah et tous ont goûté la falaka du fékih. Ce sont tous des anciens élèves de cet établissement. Donc ! Fermez les yeux et imaginez ce qui suit. Ces 14 000 mosquées algériennes, peut-être un peu plus, d'un bon matin, se trouveront dotées chacune d'une bibliothèque, une vraie bibliothèque, avec un fonds riche en livres dans toutes les disciplines et les langues : des livres de littérature, poésie, romans, d'autres en histoire, d'autres en philosophie, d'autres en sociologie, en anthropologie, d'autres en religion. Fermez les yeux et imaginez ce qui suit. Ces bibliothèques seront dotées d'un équipement informatique, de belles tables, de chaises confortables, dirigées et orientées par des équipes de bibliothécaires spécialisés, avec des banques de données. Fermez les yeux et imaginez, encore, ce qui suit. Et parce que notre religion est tolérante, une religion de beauté, les poètes faiseurs de mots et de musique ont le droit de retourner dans leur première école. Et parce que tous nos poètes, sans exception, sont passés par les mosquées, les croyants comme les brigands, comme les athées, tous ces poètes ont le Coran dans le cœur, imaginez des soirées poétiques où on lit la poésie d'un El Cherif Arradhi. Imaginez un récital poétique du Louzoumou ma la yalzim (obligation du non obligatoire) de Abu-al-ala-al-Maärri (973-1057). Imaginez un autre d'El Mutanabbi ou du tourjoumane el achouak (l'interprète des ardents) de cheikh el Akbar Ibn Arabi (1165-1241). Imaginez un autre récital de Rabiâ al-Adawwiyya (713-805) celle qui, un jour, a fort crié en courant dans les rues de Basra tenant d'une main une torche, de l'autre un seau d'eau :“Je veux verser de l'eau dans l'Enfer et mettre le feu au Paradis afin que les hommes cessent de prier Dieu par peur ou par espoir d'entrer au Paradis.” Et parce que cette année 2009 Al Qods est nommée capitale de la culture arabe, et nos croyants et nos prieurs qui remplissent les mosquées sont souvent aux côtés de la Palestine. Imaginez donc un récital poétique de Mahmoud Darwich, un autre de Samih El Kacim ou de Fadwa Toukane dans une ou dans plusieurs de nos mosquées ! Ouvrez vos yeux cela n'est pas un songe ou un rêve, cela, jadis, fut bel et bien une réalité dans notre histoire culturelle. La mosquée fut une bibliothèque. La mosquée fut un cercle de débat, tout genre de débats ; philosophique, littéraire et religieux. La mosquée fut un espace libre pour lire la poésie arabe qui restera, par excellence, la référence fondamentale pour la langue et l'histoire arabes. Donc peut-on relire notre histoire et notamment celle de la mosquée et de son rôle dans la société du savoir, de l'imaginaire et de la littérature ? Imaginez tout cela en regardant ces quatorze mille mosquées debout dans notre Algérie, debout dans nos cœurs. [email protected]