Un vent glacial venu de la mer balaie depuis plusieurs jours la ville de long en large. Emmitouflés et souvent chargés de paquets, les derniers piétons se hâtent de rentrer chez eux. Il fait froid, très froid dehors.Nous sommes à la veille des fêtes de fin d'année et le thermomètre marque 6 degrés, moins que la norme saisonnière. L'approche du 31 décembre à Oran promet une Saint-Sylvestre copieusement arrosée au “Cardinal” au “Santa Lucia” et peut-être surtout au casino de Canastel où l'on claque gros et où l'on boit autant. Même s'ils grelottent de la tête au pied, les Européens sont tout excités à l'idée de faire la java une nuit entière pour enterrer cette 49e année d'un siècle gris qui déprime. Les cafés sont bondés. Les vitrines sont pleines à craquer. On fait la chaîne dans les magasins. Au quartier de la Calére, les petits Pieds-noirs, pas encore remis de leurs cadeaux de Noël, n'en finissent pas de les exhiber, devant les indigènes de leur âge, qui en salivent. Les jouets les plus appréciés en ce temps-là étaient les panoplies du parfait cow-boy avec ceinturon, chapeau et colt assortis. Tous les mômes de notre âge en rêvaient. C'était l'époque des films western qui meublaient tous les écrans, l'époque de Oppalong Cassidy, Buffalo Bill et les vastes prairies de l'Arizona où les diligences roulaient en file indienne. Trois mioches décident alors de tester leur attirail grandeur nature en jouant au Shérif et au bandit.Ils montent sur les flancs de Raz El Aïn, l'un muni d'un pistolet à eau, une étoile en plastique accrochée à sa veste, l'autre d'une corde pour “capturer” les bisons de Sid El Houari, et le troisième enfin d'un mouchoir noué autour du cou pour faire mauvais genre et garçon d'écurie. Les rôles étant parfaitement distribués, il ne restait plus au shérif et à son adjoint, âgés de 11 ans, qu'à mettre la main sur le “méchant”, leur cadet de 12 ans. Après avoir joué pendant une demie-heure à cache-cache derrière les rochers, le shérif et son adjoint débusquent enfin leur bandit planqué derrière un massif.Ils iront jusqu'au bout de leur logique comme au cinéma. Ils pendront leur camarade pour de vrai.