Au cours des 3es rencontres euro-maghrébines sur la communication publicitaire organisées par RH internationale, les interventions ont porté sur la question de la dépendance des médias à l'égard des recettes publicitaires. “Le journal est l'un des rares produits vendus au prix de revient et quasiment à perte”, selon M. Abrous Outoudert, directeur de la publication du quotidien Liberté. Comprendre que sans la manne publicitaire, un journal ne serait pas viable. De plus en plus de monde parle de la fin du “journal papier”. Tout au moins dans sa version actuelle. De plus en plus de journaux gratuits naissent un peu partout en Europe et ailleurs, finançant leurs activités grâce à la publicité payée par les annonceurs, pour peu que le support offert ait une valeur rédactionnelle reconnue. Même les grands médias écrits américains risquent de disparaître, selon certains experts, dont le New York Times, le Herald Tribune, etc., pour être remplacés par des journaux “on line”, sur Internet. En Algérie, le problème est tout à fait différent. “La publicité est indissociable du pluralisme de la presse. C'est, en quelque sorte, le nerf de la guerre”, affirme Abrous Outoudert, avant d'ajouter que “l'idéal pour un titre c'est (de réaliser) l'équilibre entre publicité et vente, avec des recettes générées par la manne publicitaire qui ne devraient pas dépasser celles de la vente du support (journal)”. D'emblée, le conférencier affirme que “la publicité risque de pervertir la presse”, et il explique comment et pourquoi. De 1962 à 1990, tous les médias étaient propriété de l'Etat : la TV, la radio et la presse écrite constituée de 6 quotidiens nationaux qui tiraient à 1 million d'exemplaires en moyenne par jour. En ce temps-là, la publicité était le monopole de l'Anep, pour près de 90% de la publicité institutionnelle. À partir du printemps 1990, avec la nouvelle loi sur l'information, naquirent 450 titres. Actuellement, on compte 76 quotidiens nationaux pour une population de 35 millions d'Algériens, alors que la France, avec ses 70 millions d'habitants, ne compte que 6 quotidiens nationaux. Le tirage moyen de l'ensemble de la presse nationale arrive à 2,5 millions d'exemplaires, dont la part du lion est réservée à 2 quotidiens arabophones (El Khabar et Echourouk ) qui accaparent plus de 500 000 copies, alors que les meilleurs tirages en langue française excèdent rarement les 150 000 exemplaires. Le tirage du reste des journaux fluctue entre 10 000 et 50 000 exemplaires/jour. En l'absence d'un OJD et d'un BVP ou d'études fiables sur le tirage et la diffusion, on ne peut, selon le conférencier, tirer des conclusions pertinentes. Selon M. Abrous, le marché publicitaire est détenu en majorité par les entreprises privées nationales et étrangères, principalement les concessionnaires automobiles et les opérateurs de téléphonie mobile, deux domaines où, selon ses propres termes, la concurrence est féroce. L'Anep continue à détenir le monopole sur la publicité institutionnelle et des entreprises publiques qui doivent passer par elle au lieu d'opter pour le support de leur choix. Cette situation est le résultat d'une décision d'un Premier ministre datant de 1992 et permet de réguler la ligne éditoriale de certains journaux au détriment des autres, les récalcitrants à la politique du pouvoir en place. La plupart des titres tirent leurs recettes de cette manne publicitaire, et certains mourraient de leur belle mort si cette manne venait à s'assécher, puisque leurs recettes proviennent à 100% de la publicité. Selon un bilan présenté par Sigma Group, le 26 janvier 2009, et cité par Abrous Outoudert, le total de 4,5 milliards de DA (35,1% de la masse globale) représente la manne publicitaire qui revient à la presse écrite, toutes périodicités comprises. C'est ce que se partagent les 332 titres existants (dont 76 quotidiens nationaux), avec un tirage de 2,355 millions d'exemplaires par jour pour les quotidiens. Cette somme représente une manne pour les petits journaux qui en vivent exclusivement, mais demeure faible pour ce qui est des grands journaux. Le coût d'un exemplaire à sa sortie de l'imprimerie atteint 9,45 DA pour un 32 pages vendu 10 DA et ne couvre ni la diffusion ni la masse salariale. Abrous Outoudert cite en exemple Liberté, le quotidien qu'il connaît le mieux, en affirmant que “pour un tirage moyen de 150 000 exemplaires, à peine 40% des recettes proviennent des ventes, alors que les 60% restants sont constituées par la publicité”. C'est ce qui l'a amené à conclure que la presse et le journalisme risquent, à terme, d'être pervertis par la publicité. Car “les entreprises qui connaissent une concurrence s'efforcent de plaire à tous les titres en leur accordant de la publicité, même si elles savent que l'effet sur le lecteur-acheteur potentiel ciblé est nul. Mais autant avoir un titre avec soi (plutôt) que d'en faire un ennemi acharné”. Dans une situation de libre concurrence, c'est l'annonceur qui choisit le support selon la cible visée, en mettant le paquet, au lieu de disperser son investissement publicitaire à tous les vents, dans des supports qu'il sait peu efficaces. Le conférencier conclut sur un constat angoissant et une note pessimiste, hélas, étayée par la réalité du terrain. Les supports indociles peuvent se voir signifier à tout moment leur arrêt de mort par les annonceurs, désormais maîtres du jeu et des destins. “Ce qui explique que pas une critique, si gentille soit-elle, n'est jamais formulée contre les concessionnaires automobiles ou les opérateurs de téléphonie mobile, grands pourvoyeurs de publicité dans les médias.” C'est ce qui risque à terme de fausser la loi du marché basée sur la concurrence et la compétitivité, puisque cette situation permet à des titres de surnager, alors que dans une situation plus orthodoxe, ils disparaîtraient rapidement du paysage médiatique. Les 76 quotidiens nationaux, sous cet éclairage, ne représenteraient en fait que les acteurs d'un pluralisme médiatique factice et plus ou moins orienté. Pour la plupart de ces titres, la publicité est l'unique mamelle et les véritables batailles dont dépendra leur survie sont encore à livrer. D. Z.