Certains évoquent un projet “occulte” pour démanteler l'école et accaparer du foncier. D'autres vont encore plus loin : “Nous savions de tout temps qu'on était la cible des nababs. Ils n'ont jamais pu imposer leurs enfants chez nous.” Il a fallu la publication par Liberté d'un article sur “l'Ecole polytechnique d'Alger” dans l'édition de jeudi passé pour que tout s'emballe. Que ce soit au niveau de la direction de l'école ou encore au ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, les réactions ne se sont pas fait attendre. Dès hier matin, un “droit de réponse” de la direction de Polytech a été placardé sur presque tous les murs de l'école pour essayer de donner des “clarifications” sur la situation. Mieux encore, l'après-midi même une réunion avec les enseignants était programmée avec la présence d'un représentant de la tutelle. Ce branle-bas soudain a surpris plus d'un parmi les enseignants et les étudiants. Depuis plusieurs semaines, voire des mois, ils attendaient la moindre explication sur toutes les rumeurs autour de l'avenir de l'école. Cette ambiance d'attente était perceptible tout au long de la matinée d'hier au sein des différents départements de l'école (dont le siège est à El-Harrach). Si la majorité des étudiants (surtout ceux de la première et de la deuxième années) couraient dans tous les sens pour connaître leurs notes (ils ont terminé leurs examens jeudi passé), les enseignants et aussi les employés (de l'administration et des bibliothèques) discutaient tous de leur avenir. Le flou entretenu autour des nouvelles réformes que devrait subir Polytechnique est pour eux une chose des plus intolérables et insoutenables. Tous n'arrivent pas à comprendre pourquoi leur école est ciblée par ces changements et aussi par la rapidité des procédures pour chambouler les infrastructures existantes. “Depuis le début, la direction et le ministère nous disent que rien d'officiel n'a été décidé, mais c'est évident que ce n'est pas vrai”, nous dira une enseignante du département de sciences fondamentales entre deux copies d'examen remises à des étudiants en pleine anxiété. Avant de la laisser, elle n'omettra pas de nous lancer avec un dépit : “s'ils ne savent pas, c'est encore pire.” Un autre professeur rencontré pas loin du département de génie minier ne pouvait cacher ses “appréhensions” sur le statut même de Polytech : “Notre école sans le département de sciences fondamentales n'a aucun sens. Nous n'arrivons pas à comprendre pourquoi ils y touchent alors que son niveau est reconnu par tous, que ce soit au niveau national ou international.” Un employé qui était tout près renchérira presque en criant : “Mais pourquoi ils se penchent sur notre école ! C'est la meilleure en Algérie et il y a tant à faire dans les autres institutions dont le niveau plus que ridicule est reconnu par tous.” Sur les classes préparatoires qui semblent être la base des réformes annoncées, la question que se sont posées devant nous plusieurs enseignants : “Pourquoi l'INI et l'Epau ont pu obtenir des classes intégrées et non Polytech ?”, ce à quoi certains ont répondu par un “parce que tout simplement ils ont des gens qui défendent leurs intérêts”. Allant dans le même sens, un autre professeur (notons que tous les enseignants que nous avons rencontrés ont tenu à garder leur anonymat pour éviter d'éventuels polémiques) a essayé de nous expliquer sa “vision” de la situation : “qu'ils le veuillent ou non, Polytechnique sort du lot. Il y a ce que j'appelle une Choufa que chaque polytechnicien a en lui avant d'obtenir son diplôme. Un art d'ingénieur que ne peut avoir et comprendre que ceux qui connaissent l'école qui est avant tout un patrimoine immatériel.” Sur les motivations et buts “inavoués” qui semblent guetter Polytech, les spéculations vont bon train. Certains n'ont pas hésité à parler d'un projet caché pour démanteler l'école et accaparer du foncier. D'autres vont encore plus loin, comme nous l'a affirmé une des enseignantes presque en chuchotant : “nous avons de tout temps été la cible des nababs. Ils n'ont jamais pu imposer leurs enfants chez nous. Pour accéder à Polytechnique, il faut avoir la moyenne nécessaire et ce n'est pas donné à n'importe qui. En privatisant tout, ils veulent ainsi faire rentrer leurs enfants avec l'argent et les plébéiens n'auront plus la chance et l'honneur de se dire après qu'ils sont polytechniciens.” Un sentiment d'amertume partagé par une collègue à notre interlocutrice : “Mon propre fils avait eu un bac série mathématiques avec mention et il n'avait pas pu rentrer ici. Pourtant, il ne lui manquait même pas un point”, tout en ajoutant : “d'ailleurs, je me souviens d'un général qui voulait imposer son fils qui a été exclu de l'école. Le directeur de l'école, à l'époque, lui avait rétorqué qu'au sein de Polytech il n'est qu'un parent d'étudiant et il est resté inflexible”. Une chose est sûre, pour cette rentrée universitaire aucun bachelier ne pourra rejoindre l'Ecole polytechnique. Il devra passer par des écoles préparatoires pendant (s'il ne rate aucune année bien sûr) deux ans. Au passage, il faut mentionner la “bourde” commise par la direction dans son communiqué d'hier. Alors qu'il est bien mentionné à l'en-tête qu'il s'agissait de l'“Ecole nationale supérieure polytechnique”, soit l'ENSP, dans le texte par quatre fois il était question de l'ENP. Peut-être que les responsables de l'école ne savent pas encore que l'école Polytechnique d'Alger a bel et bien… disparu.