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L'énigmatique attentat du Mossad à Annaba
Il y a 45 ans un cargo explosait dans un port algérien
Publié dans Liberté le 27 - 07 - 2009

23 juillet 1964. Si cette date coïncide avec le douzième anniversaire de la prise de pouvoir de Nasser et des “officiers libres” en Egypte, elle est pour l'Algérie un jour macabre. Tragique et dramatique, mais surtout oublié au grand dam de plusieurs centaines de familles.
Il s'agit de la première grande tragédie de l'Algérie post-Indépendance. Ce jeudi-là, aux environs de 22h, une forte explosion avait secoué la ville de Annaba faisant entre 100 et 400 victimes (morts et disparus), ainsi que des milliers de blessés. Des chiffres que répètent à satiété, 45 ans après, les familles des victimes ainsi que d'anciens travailleurs du port, en se référant à ce qu'ils ont vu et aux différentes sources officielles et hospitalières de l'époque qu'ils ont pu contacter.
La déflagration a touché un bateau bourré d'armements et de munitions mouillant au port. La quasi-majorité des victimes était des dockers réquisitionnés de “force” pour le déchargement. Selon les témoignages que nous avons pu recueillir auprès des familles des victimes, l'explosion était d'une telle force qu'elle a été entendue à des dizaines de kilomètres alentour. Le bateau avait pris feu, rendant le port “lumineux” de très loin et la ville de Annaba était couverte par un gros nuage noir. L'avant du bateau a été retrouvé à des centaines de mètres du port, touchant l'hôpital Ibn-Sina. D'autres débris ont été retrouvés à trois kilomètres du lieu de la déflagration.
En plus des centaines de morts et de disparus, l'explosion avait causé aussi la “disparition” de plus de 400 tonnes d'armements et de munitions et des pertes financières de plus de 20 millions de dollars.
Entre “impérialistes”, “réactionnaires” et Israéliens
Le lendemain même, le président Ahmed Ben Bella, accompagné de son ministre de la Défense, le colonel Houari Boumediène, s'était déplacé sur les lieux. Les autorités algériennes avaient conclu à l'attentat. Une bombe avait ainsi été placée par un commando dans le bateau avant d'être actionnée. Officiellement, des “agents impérialistes et réactionnaires” avaient été accusés ce jour-là sans plus de détails sur leurs “origines”. On a ainsi évoqué “les services français de la cinquième colonne” ainsi que les “ultras de l'Algérie française” mais chaque fois, les Israéliens étaient désignés soit comme instigateurs directs, soit comme “complices”. Pour la plupart des témoins et des familles des victimes, le doute est même inexistant. Le Mossad serait directement impliqué dans l'explosion du Star of Alexandria, dont les restes de l'épave serait toujours au fond des eaux du port de Annaba. Toutefois, les détails de l'opération du commando
restent toujours “flous” et, à ce jour, personne n'a pu donner de réponses précises aux nombreuses questions en suspens.
La “lecture” de l'attentat faite à l'époque (toujours d'actualité d'ailleurs) serait un double message lancé par le Mossad. Le premier à Nasser (huit ans après la crise du Suez et trois ans avant la guerre du Kippour) et l'autre à l'Algérie dont l'aura révolutionnaire de l'époque gênait trop les Israéliens dans leur “démarche” colonisatrice au Moyen-Orient. Les liens très étroits qu'entretenaient les deux Présidents ne pouvaient que soulever le courroux des Israéliens. Précisons au passage que moins de deux mois avant cette explosion, soit le 29 mai 1964, l'OLP était créée.
Le Mossad et l'Algérie : une vieille histoire
La présence et les “coups” des services secrets israéliens ne datent pas de ce 23 juillet. Après le déclenchement de la Révolution algérienne, et bien avant l'Indépendance, le Mossad sévissait déjà en Algérie, précisément à Constantine. Dès 1956, il avait entraîné et armé des cellules composées de jeunes Juifs de la ville pour contrer les éléments de l'ALN. Une opération “téléguidée” par deux agents : Shlomo Havillo (en poste à Paris en 1956) et son “subalterne” Avraham Barzalai. Une information qu'avait publiée le quotidien israélien Maariv en mars 2005.
Il y a quelques mois, une histoire d'espionnage avait éclaté. Accusé de travailler pour le Mossad, un Algérien de 44 ans a été condamné, en janvier dernier, par la cour de Tizi Ouzou à 10 ans de réclusion ferme pour “collecte et transmission au profit d'une puissance étrangère d'informations sensibles et confidentielles dont l'usage porte atteinte à l'économie et à la défense nationales”. Les services israéliens étaient aussi désignés comme probables kidnappeurs d'Ali Belaroussi et Azzedine Belkadi, les deux diplomates algériens enlevés à Bagdad en 2005.
Un fait qui est tout à fait plausible eu égard à la longue liste d'assassinats des services sionistes. Comment oublier celui de l'ex-directeur général du Théâtre national algérien, Mohamed Boudia, le 28 juin 1973 rue des Fossés-Saint-Bernard à Paris (les détails de l'opération ont été divulgués dans le livre Mossad, un agent des services secrets israéliens parle, édité en 1990, de Claire Hoy et Victor Ostrovsky).
Les familles des victimes de “darbate el-babor”...
En mémoire des dockers, un hommage a été organisé par l'association Machaâl el chahid, jeudi dernier, au palais de la Culture de Annaba. Une rencontre qui a été l'occasion pour que les langues se délient après tant d'années de “non-écoute” ou de silence. Il faut dire que c'est la première fois depuis 45 ans qu'une initiative a été prise pour ces familles. “Cela n'a pas été facile d'avoir l'accord des autorités pour rendre cet hommage”, nous dira Hocine Gouasmia, le président de l'association. “J'ai dû batailler ferme pour pouvoir organiser cette rencontre des familles qui avaient tant besoin d'exprimer leur douleur et demander au moins une stèle pour leurs proches”, précise-t-il.
La cérémonie a vu plusieurs personnes se relayer au micro pour apporter leurs témoignages. Il s'agissait essentiellement d'enfants de victimes qui tous étaient unanimes à dénoncer “l'attitude des autorités” à leur encontre. Selon eux, tout a été fait pour les faire taire et clore le dossier. “On est même allé jusqu'à dire que toutes les veuves s'étaient remariées, et donc qu'il n'y avait rien à faire pour revenir à l'explosion”, dira l'un d'eux presque en criant.
Le témoignage le plus poignant aura été celui de Soualah Alila Maâmer. En pleurs, il raconte ce qu'il a vécu, “sa tragédie”. “J'avais 10 ans, et nous habitions au quartier de l'Orée rose. Quand ça a explosé, tout Annaba est devenue rouge à cause du feu. On courait dans tous les sens pour retrouver mon père qui était docker et qu'on savait au port en train de travailler. Il a fallu attendre le lendemain matin pour pouvoir le chercher dans les hôpitaux. J'étais avec ma cousine. Elle était très courageuse. C'est elle qui cherchait le corps de mon père en soulevant les draps des morts. C'était plus des lambeaux humains que des corps. C'était horrible. Le plus cruel, c'est qu'on n'a jamais retrouvé mon père, et à ce jour nous n'en avons trouvé aucune trace. Notre malheur est devenu encore immense devant l'inaction des responsables, que ce soit la wilaya, la daïra ou l'APC”. Soualah continue son récit, entrecoupé de chaudes larmes : “Au début, on nous avait octroyé des carnets d'enfants de chouhada mais dès 1967, on nous les a retirés sans explication. Jusqu'à maintenant, nos droits sont bafoués.” Parmi les enfants des victimes, il y avait Mabrouk Abdelbaki, 6 ans en 1964, et dont la date de naissance est le… 23 juillet.
Mais aussi des questionnements
Nous avons rencontré également, lors de cet hommage, un rescapé du drame, Omar. Il avait au moment des faits 20 ans et travaillait en tant que docker. “Ce jour-là, on nous avait réunis au centre d'embauche et le chef nous avait dit qu'on était obligé de travailler. Nous avions tous protesté en lui répondant que tout ce qui touchait l'armée ne nous concernait pas. Sa réaction était claire et nette. Il nous a répondu que nous étions tous des moudjahidine et que c'était le devoir de chacun de nous de faire ce travail, tout en précisant que celui qui ne travaillera pas sera suspendu à vie”.
Omar a eu la vie sauve grâce à son père, lui aussi docker, qui, tout en rejoignant le port pour le déchargement, avait interdit à son fils de faire de même. Avant de nous quitter, et tout en affirmant que la “main sioniste” n'était pas loin, il n'hésita pas à se poser des questions en chuchotant : “Ce que je ne comprends surtout pas, c'est pourquoi on n'avait pas déchargé tout cet arsenal au port d'Alger qui était beaucoup plus grand. L'autre chose que je n'arrive pas à digérer, c'est pourquoi il a fallu le faire au port de Annaba et non sur les autres quais qui étaient beaucoup plus adéquats.” Il n'en dira pas plus, préférant se “faufiler” vers la sortie avec les autres membres des familles des victimes.
S. K.


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