Pas question de donner un point de vue doctrinal sur la polémique qui vient de prendre prétexte du livre du chef de la zaouïa alawiya. Mais la controverse, si elle met en jeu des positions d'écoles, permet aussi de mesurer le chemin parcouru, chez nous, en quelques décennies, en termes de rapport au profane et au sacré. Qui ne se souvient pas de ces naïves reproductions, probablement inspirées des miniatures persanes, qui se vendaient au marché et dont raffolaient nos vieux parents à la foi spontanée ! Elles servaient à être accrochées au mur de ce qui, dans nos anciennes maisons, servaient de “living”. Les modestes foyers s'offraient ainsi un ornement acquis à un prix modique et évoquant des personnages vénérables aux yeux d'innocents croyants qu'étaient nos parents. C'était bien avant que les bazars de Dubaï, de Damas, de Djeddah et d'Istanbul ne commencent à nous fourguer au prix fort des images en toc des Lieux saints et des calligraphies payées aux tarifs de vraies enluminures. Ceux qui décident du sacré et de l'impie décident aussi du prix des symboles. Ainsi, des scènes de “Mi'raj” (Ascension) ou de batailles religieuses, parfois fixées à l'aide de simples punaises, paraient nos modestes intérieurs. On ne peut pas oublier le plus impressionnant d'entre eux : celui représentant l'imam Ali avec son sabre en fourche à deux dents. Il illustrait tout ce que qui se racontait dans les “djemaâ” et les chaumières sur ses épiques batailles, enjolivées par une sincère admiration pour les hauts faits de guerre de ce saint. Mais il n'est pas souvenir de quelque docte objection contre le commerce des miniatures et l'usage saintement décoratif qu'on pensait en faire. Il est probable que, dans les cercles initiés, des zaouïas aux universités coraniques, le débat sur la représentation du Prophète avait déjà cours. Mais les contradictions doctrinales n'avaient sûrement pas cette arrière-pensée expansionniste propre à ces idéologies qui se cachent derrière la défense du dogme. Le blasphème est devenu une arme de la terreur idéologique. Malheur à qui est pris en délit de sacrilège ! Une des manifestations de l'effet de cette pieuse vigilance est cette mode de mes confrères francophones — et donc suspects d'impiété — qui consiste à faire suivre l'évocation du Prophète par la formule inédite de QSSSL. Dans la tradition littéraire et journalistique, on ne retrouve pas chez nos aînés cette formule qui allie le désir de l'auteur de déclarer sa propre piété et la paresse qui l'empêche de transcrire l'énoncé de la prière en entier. Cette tendance à la stricte normalisation de la manière d'exprimer son respect de la religion, et l'obligation de l'exprimer ici et maintenant, à l'intention des censeurs, aboutit à ces batailles pour le statut de procureur religieux. Et dans ces cas, ce n'est pas le plus savant qui l'emporte, mais le plus fort. Quand Abassi Madani a fait inscrire “Allah” sur le nuage, sous le ciel du stade du 5-Juillet, il n'y avait pas beaucoup de croyants pour dénoncer l'imposture. Même l'ingénieur qui a provoqué l'effet halogène a dû faire semblant d'y croire ! C'est pour cela que nous préférons à la polémique sur l'iconographie du livre de Bentounès, le tendre souvenir de l'innocente foi de nos grands-mères. M. H. [email protected]