En ces temps de fièvre électorale, on mesure tout l'intérêt porté à ces « grands électeurs » que sont les chefs de zaouïa. On connaît aussi tout l'attachement manifesté par le président candidat aux confréries religieuses. Il est légitime dès lors de s'interroger sur la velléité d'instrumentalisation d'une confrérie aussi importante que la zaouïa Alawiya qui jouit d'un ancrage populaire indéniable et qui dispose de réseaux d'influence considérables, comme en témoigne le formidable carnet d'adresses de son chef spirituel, le cheikh Khaled Bentounès. Nous avons posé la question à son frère, Mourad Bentounès, porte-parole de la tariqa Alawiya, pour nous enquérir de la position de sa tariqa vis-à-vis de la présidentielle. Sa réponse est sans ambages : « Notre zaouïa est apolitique. Elle se veut un espace ouvert à tout le monde. Pour cela, elle doit rester en dehors de la politique. » A l'appui de sa déclaration, Mourad Bentounès rappelle que la confrérie qu'il représente compte des adeptes de toute obédience politique et partisane. Il indique que le président Bouteflika l'avait visitée dès sa première candidature en 1999. « Mais c'était une visite de courtoisie », a-t-il précisé. Et d'ajouter : « A l'occasion de la présidentielle de 1999, notre zaouïa avait reçu également Ahmed Ben Bella, Hocine Aït Ahmed, Youcef Al Khatib, Mokdad Sifi, Ali Haroun, cheikh Nahnah, Saïd Sadi, Slimane Amirat et d'autres encore. Ils étaient tous venus prendre la baraka. » Et de poursuivre : « Au sein de notre zaouïa, nous avons des mouridine qui sont des militants FFS, RCD, FLN, RND, MSP. La zaouïa doit être ouverte à tous. Son rôle est de concilier les gens. Elle rassemble ceux que la politique divise. » Mourad Bentounès raconte que du temps de la colonisation, la tariqa Alawiya avait joué un rôle similaire de conciliation des frères ennemis, lorsqu'elle avait rabiboché des militants messalistes et des activistes du Parti communiste algérien. Cela dit, il est utile de signaler que les rapports de la zaouïa Alawiya avec le pouvoir – comme c'est le cas, du reste, pour nombre de confréries religieuses – ont évolué en dents de scie. Mourad Bentounès nous a confié à ce titre comment son père, cheikh Mohamed El Mahdi Bentounès (qui avait succédé à son père El Hadj Adda Bentounès, lui-même successeur du cheikh El Alawi à la tête de la tariqa) avait subi les affres de la répression sous Boumediène « pour avoir dénoncé la politique socialiste suivie après l'indépendance. Le Cheikh disait que ce n'était pas compatible avec notre culture et nos valeurs, ce qui lui valut d'être emprisonné et mis en résidence surveillée », dit-il. A noter aussi que plusieurs biens de la zaouïa ont été confisqués. Cela donna lieu à une longue bataille juridique. Ce n'est qu'en 2003 que la Alawiya put récupérer l'ensemble de ses biens (qui sont du reste classés habous). Cette amputation patrimoniale coûta à la zaouïa Alawiya de perdre les locaux qui servaient d'école coranique. Le cheikh Khaled Bentounès voudrait affecter aujourd'hui ces locaux à la création d'un centre de recherche et de documentation sur le soufisme, en général et l'héritage du cheikh El Alawi, en particulier ainsi qu'une bibliothèque numérique et un musée dédié au patrimoine spirituel de la zaouïa Alawiya.