Loubna Ahmed-Hussein était convoquée hier au tribunal de Khartoum pour un procès où elle encourt le châtiment de quarante coups de fouet et une amende. Loubna, journaliste au quotidien Al-Sahafa et collaboratrice de la mission locale des Nations unies, avait été appréhendée, le 3 juillet dernier, dans un restaurant de la capitale soudanaise, avec douze autres femmes parce qu'elles portaient des “tenues indécentes”, c'est-à-dire des pantalons. Dix d'entre elles ont été déjà punies de dix coups de fouet. Le tribunal a laissé le choix à Loubna Hussein de bénéficier de l'immunité que lui confère son appartenance à la mission onusienne ou de s'en défaire pour être jugée. Elle a préféré s'en affranchir pour que le procès aille à son terme. Pendant que l'Afrique et la Ligue arabe se mobilisent pour éviter à Omar Al-Béchir un procès pour génocide au Darfour, son régime s'emploie à humilier des femmes qui osent porter des tenues incompatibles avec le statut qui leur est réservé. Mais, voilà, Loubna n'a pas baissé les bras, ni le pantalon : hier, elle s'est présentée au tribunal dans sa “tenue d'homme”. La justice du dictateur a préféré gagner du temps en reportant l'audience au 4 août. C'est emblématique que ce soit sur le thème du pantalon que la lutte des femmes au Soudan fasse parler d'elles. D'abord parce que beaucoup d'hommes, dans la sphère politico-culturelle que nous partageons avec ce pays, le tombent pour moins que cela. Et ensuite, et surtout, parce que l'histoire de cet habit est lié à l'histoire des conquêtes civiques et politiques de la femme. En France, le port du pantalon est encore soumis à autorisation préfectorale, aux termes d'un édit de Napoléon Bonaparte datant de 1800 (George Sand la demandait périodiquement). Avec l'apparition de la bicyclette, du travail féminin à la mine, puis à l'usine quand les hommes partaient au front pendant les deux guerres mondiales, le décret est tombé en désuétude, mais il n'a jamais été abrogé. De grandes dames qui ont marqué l'histoire de France, de Jeanne d'Arc à Brigitte Bardot, ont choqué une première fois en apparaissant en pantalon. De toute manière, en Europe, même pour les hommes, le pantalon n'est devenu courant qu'au XVIe siècle, bien qu'il y fût souvent introduit auparavant. En Amérique, c'est le travail des femmes au ranch qui a banalisé le port du pantalon par les femmes. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, le pantalon n'est pas une invention occidentale. Le sarouel, ancêtre indirect du pantalon qui, dans la langue française, ne désigne presque plus que la version féminine de notre pantalon traditionnel, est né en Orient. En Perse, d'abord, et peut-être en Inde et en Mongolie, et en Chine ensuite. Puis au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, Soudan compris… C'est la domestication du cheval qui a favorisé l'émergence de l'équivalent du sarouel. En premier chez les cavaliers nomades d'Orient. Les guerres ont fait le reste pour diffuser et le cheval et l'habit. La Kahina et son armée en portaient déjà. Le Torquemada en kamis dont Loubna est victime le sait : la conquête de la dignité de la femme passe par la reconquête de son corps. M. H. [email protected]