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Quand la harga mène aux prisons d'Israël
Sur les traces de Aziz, Adel et Fouad
Publié dans Liberté le 04 - 08 - 2009

Pour les leurs, les trois harragas n'ont jamais pris la destination d'Israël volontairement. Censés être embarqués pour la Grèce depuis la Turquie, contre une somme de 120 000 de dinars payée à un intermédiaire résidant à Belcourt, ils se sont retrouvés dans les eaux territoriales contrôlées par l'armée israélienne.
Bien que le site abrite l'une des plus importantes mines de plomb et de zinc du pays, soit le gisement de Sidi-Kamber, ainsi que l'un des grands barrages de la région est du pays, ce sont trois jeunes harragas qui viennent de propulser le village de Chaâba, appelé jalousement par ses habitants El-Kalaâ, au-devant de la scène médiatique.
Adel, Aziz et Farouk, issus tous les trois du village d'El-Kalaâ, commune d'Oum Toub, wilaya de Skikda, à l'est du pays, ont été arrêtés en Israël et emprisonnés au camp de Ramla, avant d'être jugés et expulsés, la semaine passée, par l'Etat hébreu en Algérie via la Syrie, et par le truchement de la Croix-Rouge internationale.
Hier, alors que les trois jeunes étaient toujours entendus par les enquêteurs à Alger, on a fait le déplacement dans leur village natal afin de saisir l'environnement dans lequel ces jeunes ont évolué.
Une heure après avoir quitté Constantine, en empruntant la route de Collo, après avoir traversé 60 kilomètres sous une chaleur de plomb en cette deuxième journée du mois d'août, nous prenons une bifurcation, à gauche, juste après le lieu dit Souk Tlelata. Avant d'arriver au chef-lieu de la commune d'Oum Toub, nous prenons une autre bifurcation, cette fois-ci à droite, contournant le barrage qui tire son appellation du nom de la localité. Commence alors la montée vers El-Kalaâ pour atteindre… la citadelle, perchée là-haut dans cette partie dense du massif forestier de Collo, à 600 mètres d'altitude.
La route qui mène au village est une longue pente sinueuse parsemée de dangereux virages dont l'un d'eux, appelé à juste titre le Double virage de la mort, est un véritable mouroir. Rien que pour ces deux derniers mois, on a enregistré sur ce tronçon deux victimes handicapées à vie. Aller sur les traces de ces trois jeunes, c'est prendre le risque de voyager au cœur de la misère qui gangrène ce coin de l'Algérie profonde, là où responsables et médias lourds s'aventurent rarement, tellement les plaintes des habitants sont politiquement incorrectes.
Nous atteindrons la citadelle prise par la mal-vie de ses jeunes à 14 heures. Il fait 45 degrés à l'ombre, la vie est comme suspendue.
Si le père de Aziz est à Skikda en quête de nouvelles sur son rejeton, Fouad et Adel, eux, sont orphelins. Ce sont les voisins et les amis d'enfance qui nous raconteront les déboires d'une jeunesse entraînée par le désespoir dans des aventures extrêmes. Ici, même la bénédiction de Sidi Kamber, le saint patron des lieux qui gît au sommet d'une colline surplombant une centaine de maisons à un seul étage, n'a rien pu faire pour entretenir au moins un zeste d'espoir chez une population qui se croit abandonnée par tous, son “salih” y compris.
Les deux cafés du village sont fermés. Dans une dechra où même ces espaces “de passe-temps”, pourtant prisés par les gens de l'underground, ont perdu leur fonction sociale, le poids de la misère est certainement si fort qu'il a poussé les villageois au fond de l'abîme. Le village est vide de toute animation. Aucun commerce n'est ouvert et aucune âme ne déambule sur la piste en gravier qui fait office de “route principale”. Ici, les humains sont en hibernation, et quelques-uns de ces jeunes faisaient leur sieste dans un abribus.
Rabah, la trentaine, que tout le monde appelle ici Magarine, est allongé à même l'asphalte. Magarine a tenté par deux fois la harga et a été refoulé d'Italie à deux reprises. Après sa dernière tentative, il a fini dans un centre psychiatrique, ici en Algérie, avant d'atterrir dans ce bled, son village natal. Orphelin, il vit seul au milieu de ces jeunes qui tissent autour d'eux un véritable tissu de solidarité sociale pour partager le pire car le meilleur ne se conjugue plus avec le quotidien de ces lieux.
“Ici, les jeunes n'ont pas de cartes d'identité, juste le passeport et un visa pour la Turquie toujours en cours de validité, en attendant le jour du départ”, nous explique un des jeunes. Selon ce dernier, Aziz, Fouad et Adel ont pris la même route préférée des gens de la localité, soit l'Italie via la Turquie, puis la Grèce. Ils sont déjà 80 jeunes de la région à l'avoir empruntée. La moitié d'entre eux erre toujours quelque part entre ces trois pays, le reste est rentré au pays de Sidi Kamber, à l'instar de Magarine, brisé avec, en prime, un séjour pour certains dans une unité de psychiatrie, broyés par un si beau rêve achevé par un brutal réveil.
Le rêve est le mot juste. Car ici, par la harga, l'objectif n'est pas d'atteindre une destination mais juste de fuir une vie, leur vie de… comme le commentent les jeunes qui entourent Magarine. L'histoire des trois rescapés des prisons israéliennes est illustrative. Adel Chriet, 24 ans, avec le reste de sa famille, a fui la région d'Oum Toub et d'El-Kalaâ en octobre 1993 pour s'installer à Salah-Bouchaour. Son père venait d'être assassiné, à hauteur du Double virage de la mort, par les terroristes. Il était le directeur de l'école et il jouait le rôle de leader du village, soit l'alternative aussi bien aux politicards locaux qu'aux islamistes, ce qui ne plaisait pas aux adeptes du chaos.
Oulbani Abdelaziz, appelé Aziz, lui aussi âgé de 24 ans et qu'on surnomme “El-Visa”, est issu d'une famille démunie, dont le père est au chômage. À l'âge de 12 ans, il est déjà sur Alger pour travailler et subvenir à ses besoins. Depuis la décennie 1990, il a tenté plusieurs hargas. L'avant-dernière l'a conduit à un court séjour à Dubaï.
Boufarouk Fouad, âgé, lui, de 27 ans, est connu à El-Kalaâ sous le sobriquet d'El-Miziria.
“Il a toujours vécu dans la pauvreté, ce qui le poussa à monter sur Alger alors qu'il était encore enfant”, nous explique l'un de ses voisins et ami d'enfance. Ainsi, ces trois harragas ont pour dénominateur commun le village où ils ont vu le jour et où la malchance de se retrouver de l'autre côté de la barre, le camp des démunis, leur a collé… à la peau. Une misère que Fouad et Aziz n'ont jamais cessé de fuir, une première fois en se réfugiant dans l'underground algérois et une seconde fois en prenant le large.
Pour Adel, partir d'El-Kalaâ, c'est fuir ces collines arides et les fantômes des terroristes qui l'ont privé, dans le sang, de son père, lui arrachant l'innocence de son enfance.
“En plus des 80 harragas, actuellement plus de 60 autres jeunes d'El-Kalaâ sont des SDF à Alger, vivant de petits travaux et errant dans les ruelles de la capitale. Ils ont moins de 15 ans et vivent de petits boulots”, rajoute âami Rabah, âgé de 75 ans, un ancien employé de la mine de Sidi Kamber qui vit de sa prime de réforme de 2 600 dinars par mois, soit 2 euros par jour. Avant de quitter le village, les amis et proches de Adel, Fouad et Aziz ont tenu à nous rappeler que ces derniers n'ont jamais pris la destination d'Israël volontairement. Censés être embarqués à destination de la Grèce depuis la Turquie, contre une somme de 120 000 de dinars payée, ici en Algérie, à un intermédiaire résidant à Belcourt, ils se sont retrouvés dans les eaux territoriales contrôlées par l'armée israélienne.
“Il nous reste notre dignité, celle de ne pas se rendre chez l'ennemi de nos frères. Durant les années 1990, on n'a pas composé avec les terroristes, et notre village a été parmi les premiers à prendre les armes pour défendre notre honneur malgré le chant des sirènes à travers les prêches et les motivations matérielles”, s'insurge Hamid. Les jeunes d'El-Kalaâ n'embarquent nulle part, ils fuient juste leur misère !
M. K.


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