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Quatre harragas racontent leurs mésaventures
Ils ont été kidnappés et emprisonnés en Israël
Publié dans Liberté le 06 - 08 - 2009

Ces candidats à l'émigration clandestine, originaires de Skikda, qui étaient emprisonnés près de Jérusalem, racontent leurs mésaventures qui ont commencé
en Turquie
Avant-hier, dans son village d'El-Kalaâ, commune d'Oum Toub, dans la wilaya de Skikda, adossé au mur de la mosquée du village, Abdelaziz-Oulbani, un des quatre Algériens, trois sont issus de ce village, nous a raconté quelques détails de l'aventure d'une harga pas comme les autres (voir notre édition de mardi 4 août 2009).
Les quatre jeunes Algériens ont été “kidnappés” et emprisonnés en Israël, y compris dans la sinistre prison de Ramle, jusqu'au 24 juillet dernier. Selon le témoignage de Aziz, les juges et officiels israéliens, n'ont manqué aucune occasion pour insinuer aux jeunes Algériens que, seule la demande d'asile politique est l'alternative à même de leur permettre de recouvrer leur liberté. Une offre tacite rejetée dignement et intelligemment pas les quatre amis.
La version des faits racontée par Aziz, recoupée avec les fuites organisées par l'administration israélienne en direction de la presse de l'Etat sioniste, il y a deux mois, de cela, crédite la thèse d'un acte prémédité. Une tentative avortée grâce à la dignité des quatre harragas et à la mobilisation de la diplomatie algérienne,
“Après avoir atterri en Turquie, le plus normalement du monde, on a pris nos places dans une embarcation, le 28 mars, au départ d'Izmir en direction de l'île de Samos en Grèce, la destination des clandestins qui choisissent la route de la Turquie”, entame Aziz son témoignage. Il continue, “placé dans un centre de transit, une fois fiché et muni du carton prouvant notre situation d'immigrés clandestins, le billet du bateau vers Athènes offert par les responsables du centre, on est remis en liberté après 3 jours de détention administrative”.
Le 2 avril, Aziz et ses 3 amis, débarquent à Athènes. Ils s'installeront, en SDF, à la place Aumonia, qui regroupe les candidats à l'immigration d'origine arabes et musulmanes.
“Ici, la vie n'a rien d'humain. Personne, à une exception près, soit un Afghan, ne vit honorablement et dignement de son travail. C'est ici, que les candidats à l'immigration se débarrassent de ce qui leur reste d'innocence et d'humain. Il fallait coûte que coûte quitter ce pays pour l'Italie”, constate avec un long soupir notre interlocuteur.
“Le 5 avril, nous embarquons, les quatre, dans un bateau de marchandises, battant pavillon italien, à destination de l'Italie”, continue à témoigner Aziz, le regard vide.
Après 12 heures de mer, le bateau rentre dans un port et les 4 amis sont descendus à quai. À la vue des drapeaux rouges frappés du croissant, ils comprendront qu'ils sont de retour en Turquie. “C'est l'échec de notre harga qui s'annonce avec toutes nos économies, 20 millions de centimes, parties en fumée, gémit, presque, Aziz.
Selon lui, dans ce port, les formalités policières sont strictes. “On a été refoulés sans ménagement. Le capitaine du bateau a été obligé de nous reprendre avec lui, quitte à faire plusieurs haltes, pour nous ramener à Athènes”, se souvient le jeune d'El-Kalaâ.
Après 15 jours, le bateau accoste en Egypte. “On a été entendu par les autorités égyptiennes, dont un officier supérieur des services de sécurité, durant un jour et demi avant de reprendre la mer, sur le même bateau, vers Chypre et où le même régime de consignation et d'interrogatoire, bien que léger, nous a été administré”, se souvient notre témoin.
Passée l'étape chypriote, après un jour et demi de navigation, le bateau est sommé de s'arrêter en mer. Il est accosté par la marine israélienne, sur les mêmes eaux territoriales où seront arraisonnés les bateaux destinés à lever le blocus de Gaza, dont le Free Gaza, quelques jours plus tard.
“Les forces spéciales israéliennes procèderont à une fouille au corps de nous quatre et de l'équipage ainsi que du bateau durant toute une demi-journée, avant de nous diriger vers le premier port. Sur le site, on est interrogé durant toute une journée avant de nous transférer, mains et pieds liés ainsi que les yeux bandés, vers la prison de haute sécurité d'Echeten, dans la région de Jérusalem”, continue à se rappeler Aziz, le regard vide.
Dans cette prison, réservée aux gens de la résistance entre autres, les 4 harragas sont entendus par des enquêteurs durant 10 jours avant de décider de leur désigner deux avocats d'office pour passer devant le juge et ce, à deux reprises. Ils seront innocentés des accusations liées au terrorisme et autres tentatives d'atteinte à la sécurité d'Israël.
“Malgré cet acquittement, on a passé 3 autres jours dans cette sinistre prison avant qu'on daigne nous transférer, le 23 juin, au centre de rétention des immigrés clandestins africains de Remla”.
Commencera alors une nouvelle procédure administrative et judiciaire liée, cette fois-ci, à leur nouveau statut d'immigré clandestin.
“Un nouveau juge et de nouveaux avocats nous ont été désignés. Lors de l'audience, aux questions du juge, notre seule réponse était de retourner en Algérie”, nous fit savoir Aziz où se lisait dans ses yeux une certaine agitation.
En effet, selon notre témoin, aussi bien le juge que les auxiliaires de l'administration de l'Etat hébreu, ne cessaient d'expliquer aux 4 détenus que leur extradition était impossible du fait de l'inexistence de relations entre Alger et Tel-Aviv, ils les inviteront à suivre la piste de leurs collègues africains du centre. “Ces derniers demandaient l'asile politique et c'est cette recette qu'on nous proposait à demi-mot”, explique Aziz.
“Au contact de ces Africains, on comprit la grande désillusion des harragas que nous sommes. S'il est vrai que la situation de la jeunesse algérienne n'est pas reluisante, nous menons, dans notre pays, une vie qui nous garantit la dignité. Quand on vient de l'Algérie, on ne peut se permettre de renier nos valeurs et notre amour-propre. En côtoyant ces Africains, on a vite compris que même si son quotidien est difficile, la jeunesse algérienne mène une vie relativement décente”, explique notre témoin, tout en gesticulant comme pour se débarrasser d'un lourd fardeau.
“Finalement, ramenée à celle de la jeunesse des autres peuples, notre harga est une aventure dont on peut faire l'économie”, laisse entendre Aziz, avec une voix résolue.
Il continue, après avoir pris une bonne bouchée d'air frais dans les poumons, “Ces centaines d'Africains, ne demandent que l'asile politique. On a vite compris les sous-entendus du juge et des responsables israéliens qui sont revenus à la charge durant tout un mois. Mi-juillet, quand les Israéliens ont vu que la demande d'asile politique ne pouvait pas être dans notre agenda, on nous a présenté la piste des organisations humanitaires. C'est nous-mêmes qui avons cherché à entrer en contact avec la Croix-Rouge internationale. Les autorités israéliennes n'étaient pas pressées de nous voir quitter notre centre, comptant certainement sur le facteur temps, pour nous pousser à demander l'asile”.
Des jeunes Africains fileront aux 4 Algériens, le numéro de téléphone d'une responsable de la Croix-Rouge internationale qu'ils appelleront.
“Notre correspondante, nous annoncera, en moins de 15 jours, que la procédure de notre extradition est arrivée à maturité en l'espace de deux semaines, alors qu'elle pouvait prendre des années selon son expérience, grâce à la mobilisation de notre pays”, explique fièrement Aziz.
Commencera, alors, une course contre le temps. Il fallait aux 4 jeunes Algériens quitter le centre et Israël le plus rapidement possible et vivants surtout. “Tout pouvait nous arriver du moment qu'on n'a pas suivi les insinuations des autorités de l'Etat juif faisant allusion au passage du statut d'immigré clandestin à celui de demandeur d'asile politique”, lance notre témoin, qui revient sur l'efficacité de l'ambassade d'Alger à Amman face aux lenteurs de l'administration israélienne.
“Rassurés par notre correspondante de la Croix-Rouge, le 24 juillet, on est transféré aux frontières israélo-jordaniennes pour être remis à notre représentation diplomatique, les larmes aux yeux. C'est à ce moment-là que nous avons définitivement compris que nous avions la chance de ne pas être des immigrés clandestins à la recherche d'un pays d'accueil, comme les jeunes de plusieurs pays dont regorgent les centres de détention provisoire grecs ou israéliens, mais, des jeunes qui ont bien un pays qui s'occupe d'eux, poussés cependant par la recherche d'un monde encore meilleur, vers des aventures. Notre harga était spéciale !”, admis Aziz.
“Quand on a vu que notre ambassade nous avait déjà préparé les laissez-passer et acheté les billets d'avion sur Alger, on a eu le regret de nous être comportés en enfants gâtés qui se permettent des folies parce qu'on pense qu'ailleurs c'est mieux”, conclut celui qu'on appelle, ici, Aziz El-Visa, une larme sur la joue droite.
À la fin de l'entretien, son cousin est venu se joindre à nous. “Dites aux gens qu'on a un beau pays, un Etat qui, avec ses défauts, veille sur ses ressortissants et ses jeunes. Peut-être que les réalisations ne sont pas à la hauteur des attentes de la jeunesse, mais il y a un Etat, une économie, et on peut vivre chez nous dignement, c'est l'essentiel, le reste viendra en poussant les responsables à faire mieux et non à se lancer dans des aventures”, laisse tomber notre invité.
M. K.


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