L'accident de Ghazaouet nous a émus. Dix-sept morts ! Ce n'est pas un accident, au sens d'événement fortuit, inattendu, qui cause des dommages imprévisibles, mais juste un pic récurrent dans les annales d'une route quotidiennement meurtrière. Il y a exactement une semaine, elle avait fait dix morts en une journée. La catastrophe interpelle d'autant plus fortement qu'elle semble “répondre” à un renforcement du dispositif répressif contre les chauffards. Les aménagements successifs du code de la route ne correspondent peut-être pas au véritable sursaut d'autorité qu'appelle l'état de jungle de la route. Et peut-être viennent-ils juste appuyer un discours par lequel on n'en finit de “mettre fin” à la conduite dangereuse. Mais, nouveaux codes de la route, effectifs renforcés, plan Delphine, plan Bleu, etc., il semble que rien n'y fait. Il n'est pas nécessaire d'être introduit aux questions de sécurité routière pour observer que dans les rues de la ville, bien moins dangereuses que les routes et autoroutes, les contrôles policiers sont presque entièrement affectés au contrôle des automobilistes. Le piéton est dispensé de tout respect du code de la route qui pourtant s'applique à lui : on le voit alors slalomer entre les véhicules, traversant là où ça le prend, parfois en diagonale, dos aux véhicules, pour gagner sur son trajet. Un sens primaire de la liberté le fait mépriser le passage “clouté”. Pourquoi ces Algériens qui partagent l'incivisme du piéton deviendraient-ils prudents et courtois au moment où ils prennent le volant ? Pendant qu'on sévit dans les agglomérations avec un point de contrôle tous les cent mètres, on installe sur les routes des barrages qui ne sont que des goulets d'étranglement, et qui ne sont donc pas en position de vérifier le respect du code de la route par un conducteur qu'on regarde passer à cinq kilomètres à l'heure. Entre deux barrages qui semblent posés là pour l'éternité, le chauffard a tout le loisir de s'adonner au rodéo mortel. Ce qui se pratique particulièrement par des chauffeurs de gros camions et semi-remorques, toujours pressés, et qui semblent grisés par la peur que leurs engins en folie infligent aux “petits” automobilistes. L'incivisme du piéton “urbain” et le terrorisme mécanique du camionneur sont aussi de même nature. De même nature est l'incivisme du pâtissier qui empoisonne ses clients. Malgré “les mesures”, entre 3 000 et 5 000 Algériens sont intoxiqués par leurs aliments. Les poubelles que nous sortons à l'heure où cela nous arrange témoignent aussi de ce retour à l'état asocial. Les discours sur l'urbanisme, la santé et l'environnement sont autant de pathétiques incantations qui accompagnent notre vertigineuse régression vers la pré-modernité. En tout état de cause, le respect de l'intégrité physique et morale de l'autre est une valeur avant d'être l'effet de la peur du gendarme. Celui-ci est fait pour traquer les déviants, non pour rattraper la régression culturelle dans laquelle on pousse, par intérêt politique, toute une société. Tant qu'on n'aura pas fait le lien entre le “droit” d'insulter une fille qui passe et celui d'exécuter un mécréant, on n'en finira pas de nous émouvoir du massacre. M. H. [email protected]