Près de deux mois après les violents affrontements de Bab Ezzouar entre des Chinois et des Algériens, des faits plus ou moins semblables sont signalés du côté est d'Alger, précisément dans la commune d'Ouled Fayet. aCette fois-ci, ce ne sont pas seulement les Chinois qui sont accusés de violences mais, également, d'autres étrangers, en l'occurrence des Syriens. C'est ce qu'affirment plusieurs habitants de la cité Mohamed-Boudiaf, se trouvant au niveau de l'endroit appelé communément “la route de Chéraga”. Dans un communiqué signé par les représentants de deux familles, Mohammedi et Chikhaoui, il était indiqué que “des travailleurs chinois et syriens, dont le nombre avoisine les 150, armés d'armes blanches et de pierres, ont procédé à la destruction des biens d'autrui et se sont attaqués à de paisibles familles algériennes mitoyennes au chantier”. Les signataires donnent leurs versions des “causes” par un litige touchant le foncier “et qui a fait l'objet d'une décision de justice d'arrêt immédiat de tous les travaux”. Sur le bilan précisé, le communiqué note qu'“il y a eu entre autres atteinte à la propriété privée par effraction, violation de domicile, coups et blessures volontaires par l'usage d'armes blanches ainsi que l'utilisation d'un engin de travaux publics pour effrayer les habitants et les forcer à quitter les lieux”. Hier matin, nous nous sommes déplacés sur les lieux pour en savoir plus sur cette bien étrange “histoire”. Il nous a fallu beaucoup de temps pour retrouver l'adresse exacte. Dans leur communiqué, il n'était mentionné que “route de Chéraga, Ouled Fayet” et, dans les environs, il y a de nombreux chantiers. Nous avons aussi remarqué, que toutes les personnes abordées pendant notre enquête, dans les quartiers de la commune, affirmaient n'avoir pas entendu parler de heurts entre des Algériens et des Chinois et Syriens. Toutefois, nous avons pu rencontrer, après presque une heure et demie de recherches, un employé dans une pompe à essence qui nous a indiqué l'endroit: “La famille Ch., awlade lablade (des enfants du pays). Ils sont très connus ici.” Arrivés sur place, nous avons été accueillis par plusieurs membres des deux familles, M. et Ch., devant deux maisonnettes encore en construction. Après s'être assuré de notre identité “on ne sait jamais avec tout ce qui se passe”, nous dit l'un d'eux, ils nous dirigent vers l'arrière des maisons qui font face aux nombreux chantiers. “Venez voir le massacre qu'ils ont fait avec leur Poclain pour détruire nos maisons”, nous dira Abdelkader, la trentaine, qui ajoutera : “On a mis à l'abri nos femmes et nos enfants sinon ils allaient nous tuer surtout qu'il faisait noir puisqu'il était environ 20h30,” tout en nous montrant la porte et la fenêtre défoncées ainsi que les nombreux débris de verre par terre sans oublier les grosses pierres dans le couloir et le salon. C'est le moment qu'a choisi une femme en hidjab pour sortir et crier presque avec hystérie : “C'est avec ces blocs qu'ils se sont attaqués à nous et ils ont failli nous tuer. Des étrangers nous ont attaqués chez nous sans que personne n'ose nous défendre et on entendait surtout un des Syriens qui criait à ses amis : hadem, hadem (détruit, détruit).” Sur les raisons de cette “attaque”, Abdelkader ainsi qu'une de ses cousines essayeront tant bien que mal de nous expliquer les circonstances : “Nous sommes en litige avec le promoteur immobilier depuis longtemps et l'affaire est en justice. Il n'a aucun droit de bâtir ses immeubles sur notre terrain qui nous appartient depuis 1957 et tous les papiers officiels sont là pour le prouver.” La cousine nous exhibera un livret foncier. Selon eux ce sont des ouvriers chinois et syriens qui travaillent dans un chantier juste en face, “celui du promoteur avec qui on est en litige”, qui ont foncé sur nos maisons “parce qu'on les avait empêchés de pénétrer sur notre terrain”. Mohamed, la quarantaine, sera encore plus précis : “Nous avons tous vu la mort cette soirée-là. Ils nous ont bombardés avec les pierres et nous avons même vu des Chinois armés avec des pistolets électriques.” Et d'enchaîner : “Un Poclain est sorti de leur chantier et est parvenu jusqu'à notre maison pour défoncer la clôture et le mur de la maison” en désignant de la main les nombreux débris. Un autre jeune s'adressa à nous en élevant la voix : “Dites à tout le monde que nous avons eu plusieurs blessés et que personne n'est venu nous aider sauf nos voisins, même si les Chinois ont tout fait pour les en empêcher puisqu'ils ont encerclé nos maisons. Les forces de l'ordre ne sont venues que 45 minutes après alors qu'on les a appelées dès qu'on a été attaqués et, entre-temps, les Chinois et les Syriens ont été transférés je ne sais où puisqu'ils ne sont plus dans les chantiers.” Fou de rage, il continua : “Aucun étranger n'a été appréhendé mais le lendemain matin les gendarmes sont venus et ont appréhendé vingt membres de nos familles (une cinquantaine de personnes, représentant sept familles, vivent dans les deux maisonnettes, ndlr).” Il nous précisera après que onze parmi eux ont été relâchés et que les autres seront présentés le lendemain devant le procureur du tribunal de Chéraga. Avant de quitter les lieux de l'“attaque”, un jeune homme, vraisemblablement apprécié par les Mohammedi et Chikhaoui, s'est présenté devant nous. “Je suis un des promoteurs immobiliers d'en face et je suis tout à fait d'accord avec les habitants qui sont dans leur droit.” Il n'hésitera pas à parler de “maffia politico-financière” qui serait selon lui derrière tous les derniers incidents. Nous accompagnerons M. Amrouni, gérant de la sarl Alemob à son bureau (environ 200 mètres du chantier), il nous donnera plus de détails avec plans à l'appui : “Pour vous montrer que certains de mes confrères effectuent des travaux de terrassement d'une manière plus qu'anarchique”, tout en précisant que le promoteur qui est en litige avec les Mohammedi and co “n'a pas de permis de construire.” Il nous montrera également un courrier daté du 2 septembre dernier dans lequel il a interpellé le directeur de l'urbanisme et de la construction d'Ouled Fayet à propos “des graves dépassements qui sont en train de se faire au niveau du POS au n° 13”. Voulant en savoir plus, nous nous sommes dirigés vers le chantier du promoteur incriminé. L'accès y était aussi difficile à cause des habitations des familles. Sur place, les ouvriers des chantiers limitrophes qu'on a interrogés semblaient être surpris, et tous vraisemblablement s'étaient donné le même mot d'ordre : “Il n'y a eu aucun incident.” Cependant, nous avons pu accoster un homme d'une cinquantaine d'années qui, un peu plus prolixe, nous dit : “Je n'ai rien vu, mais j'ai entendu des rumeurs ici et en dehors...” Et d'ajouter : “Tout ce que je sais, c'est que des habitants des bidonvilles en face ont saccagé les grillages du promoteur voisin et c'est tout.” Ce fut le maximum d'informations qu'on a pu obtenir.