Et je pense à toi, mon ami l'intellectuel. Toi, qui mérite cette qualification : intellectuel. Je vous parle, aujourd'hui, d'un homme de culture, exceptionnel, unique, enthousiaste et bosseur. Je vous parle de Abdelkader Djeghloul. Un fou de la patrie, passionné de l'Algérie. Un homme qui incarne parfaitement le souci intellectuel. Mon ami Kader, ainsi on t'appelait, tu étais toujours l'intello sur le terrain. L'intello du terrain. Tu essayais, en permanence, de conjuguer le rêve intellectuel à la réalité amère. Tu voyais l'Algérie grande, vaste, à l'image d'un ciel sans bords, d'un beau voyage sans frontières géographiques. À Oran, puis à Paris, puis à Alger, je voyais en toi l'homme hanté par cet amour dévastateur : l'amour de la culture, des livres et des lettres. Habité par la culture, la littérature et la recherche, tu avais toujours les dents dans la pomme de la vie. Celui qui aime les livres croque bien ses jours. À Oran, à la fin des années soixante-dix, j'ai été étudiant. Toi, tu dirigeais le centre universitaire CRDSH (Centre de recherche en sciences sociales et humaines). Par tes idées innovatrices, ton courage, ta façon de voir et de lire les choses, tu as pu faire de ce petit centre culturel un lieu de rayonnement culturel en Algérie et dans le monde arabe. Un espace de rencontre, de débat pour tous les intellectuels venant des quatre coins de la culture universelle. Avec un grand savoir-faire, et malgré les moyens matériels misérables, tu as pu créer l'événement culturel national. Je témoigne : tu fus, en ta qualité de directeur de ce petit centre universitaire, celui qui a publié mon premier recueil de nouvelles intitulé Atarrass (le viril). Tu m'as lancé sur le chemin de la littérature. Tu étais aux côtés des jeunes écrivains : Tahar Djaout, Ammar Bellahcène, Rabia Djelti, Ammar Yezli, Houari Touati, Boukheira, M'chernène et d'autres. Le centre que tu dirigeais n'avait pas les moyens pour éditer nos “livres” sous une forme commerciale. Tu faisais le tirage à la ronéo des stencils. Malgré que les publications de ton centre fussent sous forme de “polycopies”, cela n'a pas empêché de les faire circuler dans le monde et les faire parvenir jusqu'à Beyrouth, ville du livre. Tu étais fier par ces publications. Tu avais en nous une grande confiance. Tu nous as donné une grande confiance. Avec toi, Oran fut la capitale de la culture. Tu organisais des colloques de grande intention scientifique. Dans ce centre, se sont rencontrés Mohammed Arkoun, Abelmadjid Meziane, Mahmoud Amin El Alem, Tahar Djaout, Rachid Mimouni, Lakhdar Fellous, Ali Harb, Benjamin Stora, Ali El Kenz et d'autres. Dès que tu as été appelé pour une fonction supérieure, à la présidence, tu n'as pas changé. Tu es resté dans ton souci intellectuel. Ainsi tu as créé la collection “Voie anti-colonialisme”. Où tu as repris les écrits des grandes figures de l'histoire intellectuelle et politique. Tu me disais : présenter aux jeunes lecteurs les écrits des grandes figures de l'histoire humaine, des noms symbolisant “la liberté” et “l'indépendance”, l'émir Abdelkader, Frantz Fanon, Aimé Césaire, Ali Hammami, Tahar Haddad, Albert Memmi, Ferhat Abbas, Jeanson… est une urgence culturelle. Un devoir historique. Tu voulais, par cette collection noble, par ces écrits capables de célébrer en nous la culture du défi, proposer la culture de “l'optimisme”, celle qui honore “la vie”. À la rue Mohammed-Khemisti d'Oran, de temps à autre, je croisais ta maman. Une dame qui te portait dans le cœur, comme un bébé de deux ans. Elle avait toujours peur pour toi. Elle savait que tu ne recules pas d'un iota pour faire avancer l'Algérie. Aujourd'hui, même dans ta maladie, tu as gardé ton sourire, ta force de rêver. Et tu continues à parler des livres, des projets culturels dans une Algérie que tu as toujours imaginée grande et moderne. Cher Kader Djeghloul, je te souhaite un bon rétablissement et un bon retour au paradis terrestre : “les livres”. Lire, c'est prier deux fois. Celui qui aime les livres croque bien la pomme de ses heures. A. Z. [email protected]