Depuis quelques semaines, une foule de revendeurs intermédiaires d'olives disputent quotidiennement la place aux marchands de fruits et légumes ayant, depuis longtemps squatté et investi toute une rue et un carrefour de l'agglomération de Bouguirat. Pour la cinquième ou sixième année consécutive, à pareille époque, un véritable marché informel de l'olive se tient dans la localité, à quelque 27 km de la ville de Mostaganem. À l'instar de la pomme de terre et de l'orange, généralement acheminées vers les lointaines wilayas de l'Est, des Hauts-plateaux et de l'Algérois, c'est en ce site que se décrète le cours de ce précieux produit agricole. Cependant, à la différence de l'une ou de l'autre, la “perle verte” a une destination unique, celle des unités de traitement de la ville de Sig, distante d'à peine une cinquantaine de kilomètres. Sig, ville longtemps ballottée entre Oran et Mascara, est la cité de l'olive et de l'olivier par excellence. Fièrement, elle entretient le prestigieux héritage de la “sigoise”. On y dénombre plus de 200 confiseurs d'olives, dont certains ont plus d'un demi-siècle d'expérience dans le métier. Convaincus d'être non seulement les meilleurs, mais également les plus habiles dans le traitement de l'olive, ils ont dompté l'oléiculture régionale, aucunement gênés par “l'avènement” de nouveaux concurrents s'installant timidement çà et là dans la région. Chacun garde jalousement les petits secrets qui font la différence. Alors que son prix au détail s'acharne à atteindre les 300 DA/kg, l'olive, à peine mature, s'arrache à 60, voire 70 DA/kg, dans la rue des fruits et légumes de Bouguirat. ci, vous y rencontrez le marchand de légumes, momentanément converti dans le commerce oléicole, le “tchi-tchi” rural en quête de gain sans labeur, le fils du membre de l'Exploitation agricole collective (EAC) qui dérobe, par sacs entiers, une partie de la production vendue par le père quand l'olivier était encore en fleurs, ou l'élève qui n'hésite pas à “sécher” ses cours pour aller glaner les olives, là où elles se trouvent. La nuit, le maraudage bat son plein le long des chemins bordés d'oliviers. À l'instar de la vache laitière, l'olivier est littéralement trait. Dans la précipitation, au clair de lune ou dans la pénombre, fruits, feuilles et rameaux passent dans les sacs. Par sac, bidon, caisse ou brouette, les petites quantités d'olives font l'objet de vifs marchandages avant d'être cédées à une armée d'intermédiaires locaux qui opèrent un premier tri en vue de relever la qualité du produit constitué d'olives rabougries, immatures, ou insuffisamment irriguées. Une fois triée, parfois fardée, c'est un autre groupe d'intermédiaires provenant de Sig, qui viendra chaque après-midi, se ravitailler par camionnette, fourgon et fourgonnette. De par la répartition spatiale des oliviers dont la masse la plus importante est “disséminée'' le long des routes et des chemins vicinaux, et le vol généralisé encouragé par un cours aussi lucratif, la minorité des fellahs qui osent écouler, eux-mêmes, leur production et la plupart des intermédiaires ayant acheté à l'avance, des productions virtuelles au moment de la floraison, sont contraints de précipiter la récolte, s'ils ne veulent pas supporter des charges supplémentaires de gardiennage ! Des professionnels ? Vous n'en trouverez pas un seul ! Ainsi, le cours de l'olive échappe et au fellah qui, généralement, vend sa production virtuelle, plusieurs mois, voire plusieurs années, avant sa récolte, et au transformateur du produit qui, impuissant, subit le tarif que lui propose l'intermédiaire. Bien avant son conditionnement, l'olive de table se retrouve hors de portée de la bourse du consommateur au revenu modeste. Il est impossible de déterminer les critères de fondement des prix. La logique des coûts est inopérante en cet autre vaste créneau informel de la sphère agricole. Un marché livré à lui-même et aux opportunistes qui, sans nul besoin d'un quelconque registre du commerce, savent en tirer profit. Payée à 60 DA/kg, à l'état brut, l'olive suscite inéluctablement velléités et intentions, bonnes et mauvaises. Les professionnels ne semblent pas encore éprouver la nécessité d'une organisation, encore moins la défense du label “sigoise”. Spéculation et opportunisme prennent le dessus.