Les Coréens appellent leur pays “un miracle du fleuve Han”, à l'image de l'Allemagne miracle du Rhin. Les trois décennies de la dictature du développement ont sorti la Corée du Sud d'un moyen-âge contemporain et l'ont propulsé dans une ère post-moderne dominée par une conscience écologique sans cesse en éveil. Une écosophie en permanence enrichie et mise en débat. Tel la tenue récemment du 16e Colloque international littéraire “Littérature et environnement” qui a réuni des écrivains venus d'Algérie, du Canada et du Japon, avec la présence de plus de trois cents autres du pays d'accueil. Nulle part ailleurs que sur les questions de l'environnement et de l'écologie le langage de la littérature se révèle-t-il fécond et “célébration de la conscience humaine”. Les écrivains ne réclament pas seulement une justice poétique, ils répondent aux problèmes du monde avec des mots empreints d'émotion et d'intuition, non simplement des connaissances (réservée aux spécialistes). La littérature exprime des réalités plus pertinemment que les langues des spécialistes. Les questions de l'environnement demandent la réinvention du langage, la nature inspire dans sa beauté, harmonie et équilibre, autant que dans ses excès et catastrophes. La littérature environnementale a mis un certain temps à trouver son chemin et à se faire admettre. Et c'est l'un des mérites du colloque de Séoul de mettre en évidence un genre nouveau dans le domaine littéraire. C'est un genre prospectif qui promet dans la volonté de conservation de la nature et l'éducation à l'éthique écologique. Les intervenants se sont fait fort d'insister sur le fait que les problèmes environnementaux sont actuellement les facteurs cruciaux dans la définition de la façon de vivre des êtres humains et du devenir de la planète. À ce titre, la littérature environnementale aura un rôle majeur à jouer, et les écrivains serviraient de “guides” aux lecteurs avec qui ils partageront leurs observations, inquiétudes et espoirs. Un bon livre s'imprime sans peine dans l'esprit du lecteur, à la condition que l'écrivain utilise au mieux ses sens et sa sensibilité pour observer et découvrir la diversité dans la nature. Curieusement, l'éminent dramaturge japonais Inoue Hisashi avait remarqué que tout roman à succès possède au moins une phrase ou un paragraphe mémorable ayant trait à la nature. Les précurseurs dans la littérature environnementale s'appellent Rachel Louise Carson (1907-1964) et son livre Silence of Spring (le silence du printemps, 1962) dans lequel elle décrit les dangers d'utilisation des pesticides, le livre eut un impact considérable sur les industrialistes et les mouvements civiques ; Only One Earth (on n'a qu'une seule terre) de Barabara Ward et Remi Dubois, sonna l'alarme sur les problèmes sérieux affectant la biodiversité ; Mind in the water (la tête dans l'eau, 1972), de Joan McIntyre alerta l'opinion publique sur les risques d'extinction des baleines ; Les Racines du ciel (prix Goncourt) de Roman Gary se consacre à la défense des éléphants et inaugure “le roman écologique” au début des années 1950. Le colloque de Séoul prolonge la conférence de Tokyo en 2008 sur la littérature et les catastrophes naturelles. Des écrivains ont incité les organisateurs à institutionnaliser la rencontre sur la littérature et la nature dans le pays du matin calme. Avec ses routes célèbres, route de la soie, des épices…, l'Asie amorce la construction d'une nouvelle voie, qui oxygène et fait respirer large. L'Europe, l'Occident ont créé des centres littéraires mondiaux (Londres, New York, Paris, Berlin) et jeté à la périphérie bien des littératures, l'Asie inaugure la route de la littérature que les écrivains des cinq continents pourront emprunter sans risque de se perdre où perdre leur âme, et découvriront en chemin des choses surprenantes. L'exemple du “roman illustré”, en Corée du Sud, Chine, Japon et Taiwan, en est un. Dans cette nouvelle tendance de l'édition asiatique, chaque page comporte en toile de fond une image, qui peut éclairer davantage le lecteur et “embellir” la lecture. Ainsi, le roman réconcilie le mot et l'image à l'heure où leur antagonisme aiguise les plumes plutôt. De Xi'an en Chine à la côte méditerranéenne d'Istanbul, la route de la soie faisait 8 000 km, la route de la littérature sera la mère de toutes les routes, une longue caravane des temps modernes ouverte aux peuples et cultures du monde, dont les maîtres-mots sont créativité littéraire et défense de l'environnement. Après Tokyo et Séoul, il est d'ores et déjà envisagé la tenue d'une rencontre afro-asiatique d'écrivains autour du thème de la littérature et conservation de la nature. Si Alger prenait l'initiative de l'accueillir, elle jouerait d'emblée un rôle déterminant dans la concrétisation d'une grande voie de circulation des idées encore inimaginable. M. M. (*) Ecrivain et conférencier en sciences sociales, actuellement au sein de l'université d'Alger.