“L'impact de l'évolution de l'islam politique sur la cohésion nationale en Algérie” est le titre d'une étude, réalisée en septembre dernier, par Amel Boubekeur, sociologue et chercheur au Carnegie Middle East Center de Beyrouth. Dans cette enquête, Amel Boubekeur tente d'approcher l'islam politique, en analysant l'évolution idéologique et structurelle des partis islamistes légalisés et du FIS dissous en Algérie, ainsi que leur impact sur la cohésion nationale. Bien qu'émise sous forme d'interrogation, l'idée-force qui se dégage se rapporte à ce qu'il y a derrière le déclin du potentiel contestataire des partis islamistes. Ne risque-t-il pas de participer à “la délégitimation du cadre du parti comme agent de réforme” et favoriser ainsi “des formes métapolitiques de contestation islamiste, notamment illustrées par le succès grandissant du mouvement salafiste” ? Pour le chercheur, les partis islamistes légaux ont profité des “différentes opportunités structurelles” offertes par l'Etat, dans le champ politique, en particulier depuis 1995 “date à laquelle le régime algérien décida de redonner vie à l'islam politique”, en autorisant les partis islamistes à participer à la majorité des scrutins. Les partis islamistes, soutient-elle, “n'aspirent plus à une quelconque révolution islamique” et sont devenus de “faible résonance” auprès de la population. Autrement dit, le régime a réussi à imposer une dynamique d'”institutionnalisation de l'islamisme”, voire la “parlementarisation” de ses militants, entraînant “une banalisation et une routinisation du discours des partis islamistes”, ainsi qu'”une dilution de la portée contestataire de leur idéologie.” Seulement, le désintéressement grandissant des militants islamistes de base vis-à-vis du parti politique a eu, d'après elle, pour effet d'orienter ces derniers vers “le cadre antipolitique et peu hiérarchisé de la da'wa salafiyya”. Ce mouvement, écrit-elle, permet “une repolitisation hors partis politiques”, à travers la forme du réseau et de mouvement social. “Il n'est pas à exclure que les anciens membres et activistes du FIS, ainsi que la base islamiste de la da'wa salafiyya souhaiteront jouer un rôle important lors des prochaines élections (législatives et présidentielle)”, prévient-elle. Amel Boubekeur note également que la salafiyya est porteuse de “radicalité religieuse” qui “pourrait s'avérer problématique dans l'avenir”. La sociologue dévoile plus loin que l'embellie financière actuelle a permis aux différents mouvements et partis islamistes de “reconsidérer leur relation avec l'Etat”. Outre les opportunités offertes aux partis islamistes, le contexte de boom économique aurait eu un impact sur la da'wa salafiyya, en lui permettant de renforcer une affiliation au mouvement, basée sur “l'appartenance à différents petits réseaux de mosquées et de commerces.” La da'wa salafiyya : principal mouvement de réislamisation L'auteure revient sur la participation politique des partis islamistes qui, affirme-t-elle, espéraient pénétrer les institutions pour prendre le pouvoir. Mais la révision de la Constitution, autorisant le président Bouteflika à briguer un 3e mandat, aurait plongé “la mouvance islamiste cooptée et oppositionnelle dans l'impasse”. Selon elle, les dernières élections présidentielles appuyées, entre autres, par “la poursuite de la réconciliation nationale et la réintégration sociale des repentis”, ont mis à nu “les limites des stratégies de l'islamisme ‘'accommodant'' de l'après-FIS”. Maintenant, alors que les acteurs islamistes algériens s'interrogent sur la poursuite de leur “mousharaka” (participation) ou leur retrait, la da'wa salafiyya “ est devenue le principal mouvement de réislamisation du pays”, indique-t-elle. Dans sa conclusion, Amel Boubekeur assure que les évolutions de l'islam politique en Algérie attestent de “ l'urgence du renouvellement d'une cohésion nationale, qui prenne en compte la mémoire des années 1990 en premier lieu”. Elle déplore la faiblesse des “ discours publics de victimes”, puis plaide pour que la “ mémoire de la guerre civile” soit inscrite dans l'histoire de l'Algérie. Elle appuie également l'idée de la mise en place de nouveaux modes de participation et de négociation politiques, basés avant tout sur “les compétences professionnelles”. L'étude d'Amel Boubekeur a été réalisée pour la Fondation Friedrich-Ebert. Richement documentée, celle-ci est le résultat de “nombreuses interviews et recherches de terrain” faites en Algérie de 2006 à 2009. Pourtant, l'enquête aurait pu être plus complète, en examinant les problématiques liées à la nature du système politique algérien, aux contradictions et limites des élites algériennes au pouvoir, au poids qu'avaient des partis politiques démocratiques au sein de la société et au changement du rapport de forces à l'échelle nationale ou mondiale.