“Il y a dix ans, on prédisait la victoire écrasante des partis politiques islamistes. Aujourd'hui, on assiste à l'émergence d'autres formes de l'islam politique, encouragées par le gouvernement et les structures hors partisanes (des islamistes).” Ce constat a été établi, lundi soir, par Amel Boubekeur, sociologue et chercheur à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) de Paris et au Carnegie Middle Est Center de Beyrouth. Assumant pleinement ses analyses qui n'engagent que sa propre personne, la spécialiste a affirmé, lors d'une conférence organisée par le Goethe Institut Algérie, en collaboration avec la Fondation Friedrich-Ebert, à Riad El-Feth (Alger), que “si islam politique il y a dans cinq ans, il sera hors partis politiques en Algérie et devra revoir sa position d'opposition”. Dans ce cas de figure, cet islam s'exprimera, selon elle, par le biais du “mouvement de la salafiya importée d'Arabie Saoudite dans les années 1980”, d'“un lobby ou (d')un intermédiaire social, comme le mouvement soufi, à travers principalement les zaouïas”. Dans son exposé, l'intervenante a relevé que l'Algérie a favorisé “un pluralisme de facto, mais sans compétition réelle”, qui a contribué à la fragilisation du cadre du parti politique et à la disparition de “la capacité (des formations politiques) de critiquer le système”. S'en tenant au phénomène islamiste, elle a signalé que la “moucharaka” (participation) des partis islamistes légalisés a vite trouvé des limites, à cause des “arrangements, (du) cadrage de tel ou tel parti ou (du) système de la cooptation”, suscités par le pouvoir. “Dans les années 1980 et 90, les islamistes étaient utilisés par le régime pour contrer la gauche. Finalement, il n'y a pas eu de régulation du champ politique”, a-t-elle soutenu, en observant, par ailleurs, que “dans les années 1980, l'islam politique était perçu par des arabophones comme un moyen de mobilité en Algérie”. Invitée à présenter une étude commandée par la Fondation Friedrich-Ebert, relative à “l'impact de l'évolution de l'islam politique sur la cohésion nationale en Algérie”, la chercheur a préféré surtout satisfaire la curiosité de l'assistance, hélas peu nombreuse, et partager avec elle sa toute dernière étude, en cours de publication, qui porte sur “la réémergence du soufisme en Algérie et au Maroc”. Ainsi, elle a révélé que le mouvement de la salafiya, qui faisait profil bas surtout du temps de l'ex-FIS, a vu “sa capacité de séduction” monter auprès des jeunes. Critique vis-à-vis de l'expérience du FIS et opposé au cadre du parti politique et à l'affirmation de la société, ce mouvement, dira-t-elle, “propose un système de réseaux de solidarité” et prône, par opportunisme, “le nationalisme et un islam purement algérien”. Quant au soufisme, vu sous l'angle de l'Union nationale des zaouïas algériennes, il avait eu des “collaborateurs” dans les rangs de ses leaders, pendant la colonisation, a rappelé Mme Boubekeur. Pourtant, les zaouïas, marginalisées à l'Indépendance, ont réémergé à la faveur de “l'arrivée de Bouteflika en 1999”, en prêchant “un islam pro-étatique”. Pour le chercheur, le soufisme travaille en “réseaux de réciprocité” des zaouïas, c'est-à-dire “le soutien” au président Bouteflika reconnu comme “seul interlocuteur”, en contrepartie de “donations des institutions de l'Etat ou d'entreprises privées”. Mais d'“autres canaux de politisation” des soufis existent à travers l'intervention des “notabilités locales” dans le règlement des conflits et le fait de “vivre la religiosité publiquement”, voire même la participation au dialogue international entre les religions, ajoutera-t-elle. “Les soufis sont perçus comme les conseillers du prince et non comme des concurrents”, a encore attesté Mme Boubekeur, révélant aussi que ce mouvement intéresse les Etats-Unis qui manifestent “une demande grandissante pour trouver de nouveaux alliés”, en liaison avec la propagation d'un prétendu “islam modéré”. Sur le registre de “l'indécision du gouvernement” en matière de projets de société, elle a estimé que les formes hors partis politiques (mouvement de la salafiya et zaouïas), présentées comme des solutions uniques à l'islam politique, “peuvent porter atteinte à la cohésion nationale” en Algérie, car ils sapent les organisations de la société civile et remettent en cause les institutions de l'Etat national au sens moderne du terme.