Scandaleux. Le mot est même trop faible devant ce qui s'est passé hier au complexe du 5-Juillet d'Alger. Le summum du mépris a été atteint. Des milliers de personnes venues de toutes les régions du pays ont été dirigées vers un seul “repère” pour après se retrouver totalement abandonnées. Une réalité que les victimes du jour ont très mal digérée et les événements ont failli dégénérer. Pourtant, la journée avait plus ou moins bien commencé. Les premiers arrivés au complexe du 5-Juillet étaient tout excités à l'idée de rejoindre le Soudan pour aller supporter l'équipe nationale face aux Egyptiens. “Je suis ici depuis 7 heures du matin parce qu'on m'a dit au niveau des agences d'Air Algérie que c'est au 5-Juillet que j'allais récupérer mon billet”, affirme un jeune d'une vingtaine d'années habillé de haut en bas aux couleurs nationales. Au fil des minutes et des heures, les gradins du flambeau et du virage du stade se remplissaient. Tous chantaient en chœur “one, two, three, viva l'Algérie” avec de très forts “maâk ya Saadane, anrouhou la Soudan” (nous sommes avec toi Saâdane, on ira au Soudan). Aux environs de 11 h, tout a basculé. Les slogans quasiment nationalistes se sont transformés en cris d'indignation et les premières cibles étaient tout ce qui représentait la dawla (l'Etat). “Aâtouna les passeports et akhtiwna” (donnez-nous nos passeports et laissez-nous tranquilles, ndlr) était l'une des nombreuses chansons qu'on pouvait entendre des gradins. C'est dire à quel point la frustration était à son comble pour ces milliers de jeunes qui ne savaient plus à qui s'adresser. Il n'y avait en face d'eux aucun interlocuteur. Les responsables du stade, totalement dépassés par les événements, n'ont pas trouvé mieux que de mettre des chansons (sur haut-parleurs) à la gloire des coéquipiers de Ziani. Lorsqu'ils ont essayé d'évoluer, ils ont mis en direct sur les écrans géants une émission de la chaîne télé Canal Algérie. C'était loin, très loin, de calmer les ardeurs des jeunes sur place. À partir de 11h45, les choses s'emballent. Des centaines de jeunes se sont attaqués à des dépôts de PC à l'intérieur de quelques bureaux du complexe sportif. Tout le monde courait dans tous les sens avec des cartons à la main ou carrément des écrans. Les premiers se sont dirigés pour les mettre dans des voitures au parking extérieur. Les autres, et ils étaient majoritaires, ont décidé carrément de tout casser. En quelques minutes, l'entrée au stade s'est transformée en un véritable cimetière informatique avec des dizaines d'écrans jetés par terre. “Y en a marre, c'est insoutenable ce qu'ils nous font”, hurlait un jeune avec un écran dans la main. “Nous sommes venus pour exprimer notre amour pour ce pays et voilà qu'ils nous empêchent ! Mais qu'est-ce qu'ils veulent ces gens-là ! Ils ne font rien pour nous, ni pour le pays, et en plus, ils ne nous laissent ni partir en harragas ni partir pour défendre notre pays.” Et un autre à côté de lui d'ajouter : “Maintenant, c'est clair pour nous qui est nationaliste et qui est harki.” Il faut préciser que les milliers qui s'étaient agglutinés, sous une chaleur de plomb, au complexe du 5- Juillet étaient divisés dans leur quasi-majorité en deux. Les uns avaient déposé la veille au niveau de plusieurs agences d'Air Algérie leurs passeports et comptaient récupérer leurs documents avec le billet d'avion Alger-Khartoum. Les autres avaient ramené avec eux leurs passeports et les 20 000 dinars pour acheter sur place le billet. Tous étaient totalement perdus. Chaque quinze, vingt minutes, une rumeur annonçait que des passeports allaient être distribués au niveau des guichets d'entrée. À chaque fois, c'était une fausse alerte. La tension montait de plus en plus et toujours aucune présence d'officiels si ce n'est quelques policiers totalement perdus au milieu d'une foule surexcitée. Un jeune presque en pleurs s'était retrouvé par terre et criait de toutes ses forces : “Je veux mon passeport, qu'on me le rende. Je ne veux plus me rendre au Soudan, ce pays ne le mérite pas et ils veulent bousiller ma vie”. Il racontera après qu'il avait obtenu un visa pour l'Angleterre : “Grâce à mon frère qui est sur place et maintenant, ils ne veulent de moi ni ici, ni à Khartoum, ni à Londres ! Mais qu'est-ce qu'ils nous veulent ? C'est plus qu'insupportable”. Un autre jeune a essayé de le soulever tout en lui montrant un passeport rouge : “J'ai les papiers anglais et ils ne veulent pas me donner le billet, donc tu vois que ce sont tous des minables, alors lève-toi et ne te laisse pas abattre par ces minables.” À 13h30, plusieurs camions remplis de forces anti-émeutes commençaient à rentrer au parking du complexe devant la consternation des jeunes sur place : “Au lieu de venir nous donner nos billets et passeports, qu'on vienne au moins nous informer de ce qui se passe, ils n'ont pas trouvé mieux que de nous ramener des gens pour nous frapper”, diront des jeunes assis par terre. À l'heure où nous mettons sous presse tout était possible au 5-Juillet. Certains jeunes menaçaient même de faire une marche jusqu'à Alger-Centre pour dénoncer la hogra qu'ils subissent.