Et si je vous disais qu'en 1995, le web 2.0 était déjà là ! Oui, je parle bien du web Read and Write, celui dans lequel n'importe quel quidam, novice du surf virtuel peut mettre tout ce qu'il veut… Bon, n'exagérons rien, à l'époque, on disait plutôt mettre ce qu'on peut. Avec environ 15 petits mégaoctets d'espace alloué, le site GeoCities, fondé par David Bohnett et John Rezner, offrait à ses utilisateurs la possibilité de créer leur propre page web, remplacée aujourd'hui par le fameux “créer un profil”. Faut se mettre dans le contexte et avoir le recul nécessaire pour considérer l'immensité de la chose. À l'époque, Internet était encore au stade de la découverte pour la poignée de millions de chanceux utilisateurs à travers le monde, dont quelques profs de l'université d'Alger ou les privilégiés employés ou abonnés au Centre de recherche sur l'information scientifique et technique (Cerist). Je me vois comme si c'était hier, mioche à la curiosité agaçante, bombardant mon grand frère de questions sur cet Internet, lui qui venait de le tester (non sans une certaine fierté) dans le cadre d'une formation dans le fameux Cerist. Des années plus tard, j'ai su que les paroles de chanson et les images des pochettes d'album en 256 couleurs, que mon frangin avait imprimées pour moi lors de son voyage d'une semaine dans le futur, venaient de sites perso de fans, fabriqués souvent sous GeoCities ou, plus tard, sur Multimania. GeoCities était donc un des premiers hébergeurs de sites grand public jamais réalisés sur le web. En utilisant quelques notions élémentaires du langage HTML, on pouvait mettre en ligne sa propre page Internet, avec cette fulgurante nouveauté par rapport aux pages imprimées : les textes qui clignotent, ta ta ta taaaaa... Oui, ce qui est considéré aujourd'hui comme le suprême mauvais goût en matière de conception de sites web, pas seulement le texte qui clignote, mais aussi les barres aux couleurs fluo, les liens entourés de lueur et les fameuses balises “en construction” qui tournoient sur elles-mêmes, représentaient à l'époque la sophistication qui sautait aux yeux (et c'est le cas de le dire), faisant ainsi l'âge d'or de GeoCities. Mais le vent virtuel tourne très vite, acheté par Yahoo il y a une dizaine d'années pour plus d'un milliard et demi de dollars. GeoCities vient, en ce mois de novembre 2009, de fermer ses portes. Dans un premier temps, mis au tapis par Myspace, il n'a pu résister davantage à la déferlante des réseaux sociaux. Pourtant, son visionnaire co-créateur, David Bohnett, prédisait déjà que “le prochain raz-de-marée du web - non plus seulement s'y informer, mais aussi y habiter.” Où est l'erreur alors ? Incontestablement, avoir raté le virage du réseautage. GeoCities avait négligé cet aspect qui fait désormais le succès des facebook and co, car les sites perso finissaient par se noyer dans la toile jusqu'à ce que les proprios les abandonnent les uns après les autres, ce qui contraint aujourd'hui l'hébergeur à afficher un triste “Sorry, GeoCities has closed”. Si habiter le monde virtuel ne donne pas accès aux mêmes privilèges que ceux du monde réel, on pourrait déduire avec cette histoire qu'ils partagent certains inconvénients, dont le plus dangereux : la solitude.