Une importante démobilisation des personnels, liée à l'inadaptation des statuts et des profils de formation ainsi qu'à des modes de rémunération peu motivants, constitue toujours une cause importante de départs massifs, en particulier des spécialistes vers le secteur privé et l'étranger. En attendant la clarification dans le fond, et à moyen et long terme, de la mission des hôpitaux et autres centres de soins publics, la dégradation des soins et de prises en charge des malades dans les établissements sanitaires de l'Etat reste alarmante. Cette observation, établie par un rapport du ministère de la Santé il y a quelques années, tend de plus en plus à se confirmer, de même que le constat d'un secteur public qui se vide progressivement de ses compétences médicales, notamment spécialisées, au bénéfice d'un secteur privé qui n'intervient globalement que dans le Nord et dans des disciplines restreintes. Avec la même performance et les mêmes capacités, des structures publiques enregistrent aujourd'hui un taux d'activité deux fois, voire jusqu'à cinq fois moindre que les structures privées, tant en matière de qualité des soins qu'au plan des interventions chirurgicales. Selon nos sources, par exemple pour l'année 2008, une seule clinique privée d'Alger a eu à traiter plus de 500 actes chirurgicaux à cœur ouvert contre à peine 150 pour un établissement similaire du secteur public de la capitale, réputé en la matière qui plus est, et en plein rendement. Ce qui paraît un peu étonnant quand on sait les immenses efforts financiers déployés par les pouvoirs publics depuis ces dernières années en direction des établissements hospitaliers. L'on doit certainement reconnaître à l'ensemble des établissements de soins privés d'avoir pour objectif légitime de rentabiliser leur activité, fidèles à leur vocation. Néanmoins, ils emprunteraient souvent des raccourcis, pour ainsi dire, afin d'arriver à cet objectif de gestion par le biais d'actions de soins et d'interventions chirurgicales par trop onéreuses, sinon inutiles parfois, selon des experts que nous avons rencontrés. Le recours systématique à une opération de césarienne dans une écrasante majorité de cliniques privées en Algérie en est un exemple, et fait aujourd'hui penser que ce geste serait lié à des raisons de rentabilité seule, consistant ainsi à faire payer l'acte à 70 000 DA et plus, plutôt que 15 000 DA pour un accouchement par voie basse, un accouchement plus lent et sans danger, mais demandant plus de temps. Pourtant, la césarienne est indiquée, d'après certains gynécologues interrogés, seulement quand il y a danger pour le fœtus et pour la parturiente, et à chaque fois qu'il n'est pas souhaitable que la maman accouche par les voies naturelles. Cette incision comporterait en outre des risques, dont l'utérus cicatriciel (qui peut mettre fin au mouvement de génitrice de la mère) avec tous les autres aléas liés à la chirurgie, tiennent à préciser nos sources. Sauf si ce sont les futures mères qui exigent l'opération. 180 centres publics de dialyse, mais encore… Un paradoxe est, par ailleurs, mis en relief. La Cnas se trouve contrainte de débourser des sommes astronomiques pour des prises en charge régulières et obligées dans des centres privés d'hémodialyse de plus en plus nombreux, dont une centaine sont conventionnés avec la Sécurité sociale, parce qu'un acte de soins palliatifs comme celui de la dialyse revient moins cher chez le privé qu'au sein des établissements sanitaires publics. Ce procédé thérapeutique, utilisé en cas d'insuffisance rénale aiguë et chronique, est facturé cinq fois plus cher en milieu hospitalier public. Et il s'agit, ni plus ni moins, qu'une défaillance d'un secteur public tout à fait capable de traiter les 12 000 malades rénaux qui affluent vers la dialyse chaque année. Car les 180 centres publics de dialyse ont une activité très réduite pour les raisons indiquées par ailleurs (manque de confiance, temps aménagé, déstructuration…), parce qu'ils sont durement concurrencés par une multitude de centres privés d'hémodialyse qui ont proliféré grâce à une distribution souvent laxiste d'agréments sans étude sérieuse du projet, et enfin par le fait que 90 à 95% des centres d'hémodialyse sont situés au Nord, sauf pour Biskra (1 centre), Laghouat (3) et quelques centres urbains du Sud. En matière de cardiologie, dix cliniques privées activent cinq fois plus pour chacune d'elles, qu'un établissement public, alors que tous les chirurgiens cardiologues algériens exercent chez le privé. Pendant que la Sécurité sociale débourse chaque année en moyenne 38 milliards de DA pour le forfait hôpitaux, l'on observe un ralentissement de l'activité chirurgicale, cardiaque en particulier. Ce qui conduit cette pathologie — classée deuxième en Algérie en matière de soins — à être conventionnée par la Cnas auprès d'une dizaine de cliniques privées, en dépit du fait que des centres publics, là également comme pour la dialyse, sont parfaitement à même de la prendre en charge. La situation est la même dans le cas de la pathologie cardiaque infantile — dont la chirurgie occupe 50% —, obligatoirement prise en charge par la Sécurité sociale, qui envoie encore à l'étranger ou recrute des étrangers qui coûtent extrêmement cher. C'est dans ce contexte que l'on évoque volontiers au niveau de structures de la Sécurité sociale de la capitale, aussi bien en amont qu'en aval, des factures dites abusives émanant des cliniques de soins privées. Des sources proches de la Caisse d'assurance sociale citent l'exemple d'une coronarographie, autrement dit une radiographie des artères coronaires injectées par du liquide opaque aux rayons X, qui devrait revenir à 55 000 DA. À plusieurs reprises, la Cnas a été destinataire, pour cette radiographie, de factures portant des frais qui ne devraient pas avoir lieu : pour 3 jours avant la coronarographie et 3 jours après la coronarographie, et se montant ainsi jusqu'à 400 000 dinars. En somme, une prise en charge (hébergement etc.) qui ne se justifierait pas. D'autres prestations sont facturées à 500 000 dinars pour 4 jours d'hospitalisation. Et quand il n'y a pas la Cnas ? Un long désengagement des pouvoirs publics Cet argument de défaillance prononcée du secteur public sanitaire, notamment hospitalier, se justifierait par une certaine surenchère exercée par le privé pour payer rubis sur l'ongle praticiens et personnel paramédical venus du secteur public. À la fin de l'année écoulée, des arrêts de travail, rassemblant les médecins, les personnels hospitaliers, des professeurs de médecine et autres travailleurs de la santé publique ont eu lieu à Alger, Oran, Annaba et Constantine, afin de réclamer un alignement des paiements sur les voisins tunisiens et marocains qui toucheraient 3 800 euros par mois, un point indiciaire calculé sur la base de 150 dinars, ainsi qu'une révision à la hausse des indemnités et primes. Le secteur de la santé demeure de fait l'un des secteurs les plus sensibles et son personnel l'un des moins bien payés. Ce n'est pas la première fois qu'une grève des travailleurs du secteur de la santé a lieu en Algérie pour les mêmes motifs. La problématique salariale est ainsi devenue un point très sensible au niveau des praticiens comme celui des personnels paramédicaux et tout le reste des travailleurs de la santé, que le gouvernement n'arrive pas apparemment à traiter de manière harmonieuse, usant fréquemment d'un autoritarisme à la fin démobilisateur. Ce qui envenime le climat socioprofessionnel de façon générale. C'est là où se situe toute la problématique : une médecine publique manifestement défaillante qui pousse trop souvent les malades à s'orienter vers le privé. Question : à qui profitent aussi les arrêts de travail ? La baisse du pouvoir d'achat dans le secteur de la santé se conjugue par conséquent par une disparité des salaires uniques dans le Maghreb et le monde arabe au moins, tandis que l'APN s'est octroyée une hausse de salaire de 300% en faveur de ses propres membres afin de calquer leurs revenus à ceux de leurs homologues maghrébins. Mais à l'évidence, ce ne serait pas simplement une mauvaise rémunération des médicaux, et de plus en plus des paramédicaux, au niveau des hôpitaux et autres établissements publics qui les pousse à compléter leur activité par un supplément financier, souvent bien légitime. La situation du secteur public de santé n'est que le résultat d'un long désengagement des pouvoirs publics qui se sont illustrés durant des décennies par des prises de décisions incohérentes relevant plus du populisme que de la bonne gestion, sans réforme sérieuse de l'ensemble du secteur. La réforme hospitalière devrait apporter des solutions. Les premières vraies solutions, au moins.