Un ancien chef du principal institut médicolégal israélien, le docteur Jehuda Hiss, a reconnu, dès 2000, que des organes avaient été prélevés sur des corps, surtout de Palestiniens, au cours des années 1990 sans l'autorisation des familles. L'intéressé a fait ces aveux à une universitaire américaine, Nancy Scheper-Hugue, qui a décidé de garder le secret et de ne le dévoiler que ces derniers jours, alors qu'un journal suédois publiait un article accusant l'armée israélienne de tuer des Palestiniens pour alimenter un sordide mais fructueux marché d'organes. La deuxième chaîne de télévision israélienne a diffusé, au cours du week-end, des extraits des aveux du docteur Hiss, dans lesquels il reconnaît que des organes ont été prélevés sur des cadavres “de manière extrêmement informelle”. “Aucune autorisation n'était demandée aux familles”, précise-t-il. Pour sa part, la chaîne de télévision affirme qu'au cours des années 1990, les spécialistes de la morgue Abou-Kabir prélevaient la peau, la cornée, les valves cardiaques et les os de cadavres de soldats et de citoyens israéliens, de Palestiniens et d'étrangers, sans solliciter la moindre autorisation. Le docteur Hiss, qui a dirigé l'institut médicolégal de 1988 à 2004, a expliqué, entre autres, comment les médecins camouflaient le prélèvement illégal de la cornée, par exemple. “Nous fermions la paupière avec de la colle”, a-t-il avoué et “nous ne prenions pas de cornée quand nous savions que les familles allaient ouvrir les yeux”. Il a également affirmé que dès 1987, des chirurgiens militaires avaient utilisé de la peau prélevée sur des cadavres pour des greffes de brûlés, tout en prenant soin de préciser qu'à l'époque, il pensait que les familles avaient autorisé les prélèvements. Les prélèvements illégaux auraient cessé, selon lui, depuis 2000, date à laquelle il a fait ces déclarations à l'universitaire américaine. En fait il s'agissait d'un secret de Polichinelle car beaucoup d'éléments étaient apparus au grand jour à l'époque du renvoi du docteur Hiss en 2004, pour irrégularités dans l'utilisation des organes prélevés. Des familles avaient alors porté plainte, mais rien ne prouvait les accusations du journal suédois Aftonbladet, selon lequel les soldats israéliens tuaient des Palestiniens pour faire commerce de leurs organes. Aussi l'accusé a-t-il bénéficié d'un non-lieu et il continue d'exercer à l'institut, même s'il a été délesté de son poste de responsabilité. Des responsables israéliens ont qualifié l'article du journal suédois d'“antisémite”, tandis que le ministère de la Santé a assuré, sans convaincre grand monde, que tous les prélèvements d'organes effectués avaient été autorisés par les familles, tout en reconnaissant que “les recommandations de l'époque (en la matière) n'étaient pas claires”. Près de dix ans après avoir été dépositaire d'un si lourd secret, l'universitaire américaine s'est enfin décidée à en parler. Pourquoi ne l'a-t-elle pas fait aussitôt après ? Pourquoi ne l'a-t-elle pas fait en 2004 pour apporter un témoignage accablant à la justice israélienne ? Visiblement prise de remords à retardement, Nancy Scheper-Hugues a finalement rendu publics les aveux du docteur Hiss car, explique-t-elle, bien que les Palestiniens n'aient pas été les seules victimes de cette pratique, il y a une forte “symbolique” dans le “prélèvement de la peau d'une population considérée comme étant l'ennemi”. Le moins qu'on puisse dire est qu'il a fallu beaucoup de temps à cette universitaire américaine pour reconnaître “une forte symbolique”.