L'encerclement et le maillage par l'ANP des lieux infestés, qui ont lieu depuis quelque temps, affaiblissent profondément le champ d'action des terroristes dans cette région en triangle Boumerdès-Bouira-Tizi Ouzou (englobant une partie de la wilaya de Béjaïa), fief du GSPC, et se déroulent bien là où les mouvements pouvaient entretenir des réseaux de soutien. Même aujourd'hui, il n'est pas indiqué d'emprunter la route qui va de Tizi Ouzou à Bouira par Draâ El-Mizan. Il est à peine 8h30 du matin. Notre véhicule dépasse la bifurcation qui mène à Boghni. Nous entamons la route qui s'engage dans les premiers virages en épingle à cheveux du massif forestier de Boumehni. Au fur et à mesure, la végétation devient très touffue, et en contrebas un oued avec son eau limpide, en partie dissimulé par les arbres. Un vrai coupe-gorge. Bientôt un village, dont la forêt dense de la montagne porte le nom ; il s'agit du village de Maâmar (Ath Maâmar) quasiment désert à cette heure. Un village qui s'est fait remarquer par la ténacité de ses habitants de se prendre en charge, jeunes et moins jeunes, pour sortir leur localité d'un isolement sans aucun doute consécutif à la proximité de cet endroit du danger, où il est question de craindre pour leur vie. Par exemple, pour dissuader les jeunes de tomber dans le vice de la drogue, les villageois ont cotisé 52 millions de centimes et ont pu réaliser la construction d'une maison des jeunes. Les autorités ont fini par réagir, il n'y a pas longtemps, peut-être mues par la médiatisation de cette précarité qui perdurait, en faisant bénéficier ce village d'une enveloppe financière estimée à plus de 10 millions de dinars pour le financement des projets, dont la moitié est destinée à l'ouverture et à l'aménagement de pistes agricoles. À la sortie du village, la route grimpe en lacets, les véhicules roulent à toute vitesse et les lieux donnent carrément la chair de poule ; pas question de faire du tourisme ici, alors que l'endroit s'y prête. Les faux barrages sont une menace permanente, et dans le meilleur des cas, le racket au bout. Le massif de Boumehni fait, cependant, l'objet de fréquentes opérations de nettoyage par l'ANP qui monte des opérations de ratissage d'envergure, mettant en œuvre des moyens terrestres d'infanterie et d'artillerie, ainsi qu'aéroportés. Mais les opérations se déroulent dans des zones boisées toujours extrêmement difficiles d'accès, sinon quasiment impossibles à atteindre. Et d'ailleurs, toute cette région de Kabylie, réputée pour son relief accidenté, est devenue l'un des principaux foyers d'un terrorisme dont les activités s'étendent également au grand banditisme. L'axe principal de ces foyers de tension partirait, selon les spécialistes, du flanc nord de la Grande-Kabylie, en l'occurrence depuis la mer, de Tigzirt et de la grande forêt de Mizrana jusqu'aux environs de la commune d'Aomar, sur le territoire de la wilaya de Bouira, où la présence militaire a été également renforcée ces derniers temps encore, notamment à proximité du gazoduc. L'armée avance lentement mais sûrement C'est un axe central très large qui traverse en ligne droite tout le parc national du Djurdjura du Nord au Sud, en passant par les wilayas de Tizi Ouzou et Bouira. Avec la wilaya de Boumerdès à sa droite, la région soumise à une surveillance constante par les forces de sécurité, soutenues par les GLD — groupes de légitime défense, à l'avant-garde de la lutte antiterroriste, particulièrement en Kabylie — forme un vaste triangle qui s'élargit un peu plus au Sud-Est vers les Portes de Fer (les Bibans), sur la route de Bordj Bou-Arréridj et au Nord vers la forêt de Yakourène, El-Kseur et la route de Béjaïa. Ciblant les bases arrière du GSPC, pratiquement sans discontinuer ces derniers mois, les éléments de l'armée avancent lentement, mais sûrement dans toute cette zone de plus en plus étroitement quadrillée, où les opérations de ratissage menées par les troupes parviennent à la découverte de lots d'explosifs, l'anéantissement de caches de terroristes et la découverte d'importantes sommes d'argent, aussi bien dans la wilaya de Boumerdès qu'en Kabylie. Selon des sources sécuritaires, la moitié des engins explosifs détruits jusqu'à présent a été découverte dans des grottes, notamment celles de Bouzegza (Boumerdès), endroits difficiles d'accès également. Depuis un certain temps, les services de sécurité guettent un groupe sanguinaire auquel, semble-t-il, fait partie l'“émir” Khaled Elmik, alias Boualem Bekkaï, natif de la région de Aïn Bessam, dans la wilaya de Bouira. Ce dernier est le commanditaire de l'opération qui a coûté la vie au président de l'APC de Timezrit l'an passé, Fatah Chibane, au lieu-dit Martinazi, non loin des communes de Adekar et El-Kseur. L'opération de ratissage se poursuivrait encore et les forces de l'armée, assistées d'un groupe stationné dans la commune d'Aokas, pourchassent les terroristes en fuite. Sur cette route sinueuse qui grimpe, nous parvenons à Draâ El-Mizan, grande ville qui culmine à une altitude moyenne de 650 mètres et domine des collines verdoyantes où une terre à blé s'étend sur des centaines d'hectares à perte de vue. C'est ici qu'une opération des forces de sécurité, il y a un peu plus de deux mois, a abouti à la neutralisation de deux terroristes armés, nous précise-t-on. L'un d'eux a été identifié comme étant l'adjoint de l'“émir” Benani, chef de la zone de Draâ El-Mizan. Il faudrait noter une fois encore la très forte pression qu'exerce cette année l'armée sur les groupuscules terroristes ; des axes routiers sensibles demeurent strictement surveillés par les militaires, et les mises hors d'état de nuire se font de plus en plus nombreuses. Les gens ici sont moins faciles à la manipulation Au moins une trentaine de terroristes ont été éliminés depuis le début de cette année dans la wilaya de Boumerdès, dont cinq “émirs”, ce qui a considérablement amoindri les possibilités de déplacement vers les autres wilayas limitrophes, vers la Kabylie notamment. Parmi eux, on peut citer Mesrour Mourad, alias Laâouar, 38 ans, originaire de la localité d'Assouaf de la région de Dellys, “émir” de la phalange Al-Ansar, opérant principalement dans la région de Mizrana, jusqu'à Sid-Ali-Bounab, principal auteur de plusieurs attentats sanglants. Les forces de l'ANP stationnées au lieu-dit la Crête, dans la commune de Mizrana, lui ont tendu une embuscade suite à des renseignements parvenus la veille. Un autre, Delci Aïssa, alias Abou Hicham, abattu il y a quelques mois, a réduit à néant les activités terroristes dans la région de Lakhdaria (Bouira). Abou Hicham était recherché depuis 1996. Il était “émir” de la seriat Echam, de la katiba El-Farouk, qui écumait les maquis situés entre Bouira et Boumerdès. Enfin, l'“émir” de la katiba El-Arkam, Hadjerès Hocine, a été éliminé en compagnie d'un autre terroriste à la lisière de la forêt de Chouicha. Bien qu'affaiblis, tous ces groupes restent néanmoins actifs, donc dangereux. C'est ainsi que des observateurs de la scène sécuritaire n'hésitent pas à relever aujourd'hui que le renforcement matériel de l'appareil sécuritaire et sa légitimité internationale retrouvée restituent à l'Etat algérien la part de souveraineté, territoriale et symbolique, qui lui était disputée par un terrorisme anciennement domestique, aujourd'hui international. Ces mêmes observateurs estiment, de manière globale, que si les sources de l'apparition et du développement des groupuscules terroristes armés en Algérie ne sont pas encore vraiment taries, les évènements (encerclement et maillage des lieux infestés) qui ont lieu depuis quelque temps affaiblissent profondément le champ d'action des terroristes, d'ailleurs aussi bien dans cette région en triangle Boumerdès-Bouira-Tizi Ouzou et Béjaïa, fief du GSPC, que dans le reste du pays, et se déroulent bien là où les mouvements pouvaient encore entretenir des réseaux de soutien. Ainsi, entre Bouira et Draâ El-Mizan, on ne relève plus que quelques passages de bandes, nous disent des habitants rencontrés sur notre chemin qui expliquent que cela est dû non seulement à une plus forte présence militaire, mais aussi au fait que le renseignement afflue désormais de plus en plus vers les services de sécurité, et mieux qu'avant. Draâ El-Mizan, au demeurant, est considérée comme une zone pourvoyeuse d'émigration. “Les gens ici sont moins faciles à manipuler”, dit-on. Bien sûr, le principe de la réconciliation a convaincu là aussi. En outre, de là jusqu'aux limites de la wilaya de Bouira — pour prendre comme seul exemple cette wilaya stratégique — dans ses deux parties distinctes, autrement dit de Lakhdaria à Aomar et de Aomar à Aïn Bessem, et tous les villages dispersés çà et là (Lahguiet, Aïn El-Azra, Ben Haroun, Oued Soufflet, etc.), un boom sans précédent commence à exterminer la matrice qui a fait le lit du terrorisme, en l'occurrence le sous-développement doublé de la misère. Nous amorçons le versant sud du Djurdjura et le nord de la wilaya de Bouira, et débouchons vingt minutes après sur la RN25, qui fait triste figure avec l'ouverture de l'autoroute. La circulation est fluide et l'entrée du chef-lieu sans encombrement aucun. La mégapole apparaît comme un vaste chantier déployé sous les premières pluies fines de la journée.