À en croire les nouvelles qui s'accumulent au sujet d'enquêtes pour malversation, plus aucun secteur n'échappe au soupçon de prévarication. Peu de centres budgétaires semblent faire exception à la règle du détournement. Les mœurs de gestion sont donc à ce point dissolues que même les projets phare, soumis à la vigilance hiérarchique et à la curiosité médiatique, comme l'autoroute Est-Ouest ou le programme de barrages n'échappent donc pas à l'épidémie corruptrice. Il suffit de lister les grands centres de dépenses et de cocher ceux d'entre eux qui subissent une enquête policière ou judiciaire pour s'en rendre compte : c'est le budget national qu'on ponctionne pour s'approprier indélicatement une quote-part. Rien qu'en considérant les affaires qui alimentent l'actualité, des investigations vont bon train dans plusieurs secteurs : l'agriculture, les travaux publics, la pêche, l'hydraulique et, selon les derniers échos, Sonatrach et la Cnep. La multiplication des annonces informelles de cas d'institutions ou de projets soumis à enquête devrait faire croire à une option enfin résolue de moralisation de la gestion des deniers publics. Un confrère parlait hier d'“opération mains propres”. Sauf que ce genre de campagnes exige le préalable de la volonté politique. Or, les irrégularités constatées, puis médiatisées, dans la gestion de fonds importants, comme dans le cas du PNDRA ou de BCR n'ont pas connu les suites qu'on attend pour de tels scandales. Au mieux, l'on a procédé à la dissolution de l'institution concernée et… du corps du délit. Il n'y a pas de raison que les recherches actuelles ne se perdent pas dans les méandres d'enquêtes et d'instructions nécessairement parasités par les rapports de force. L'atmosphère de campagne anticorruption qu'on veut peut-être créer restera sans effet sur une opinion définitivement dubitative quand il s'agit de prétendre à l'autorité du droit. On a beau incriminer, parfois, un secrétaire général pour telle affaire et un directeur, pour telle autre, la conviction commune est que la corruption était inhérente au système national. Loin de constituer une dérive de ce système, en effet, elle semble lui être consubstantielle. De même que la prétention immuablement réitérée de lutte contre la corruption, d'ailleurs. La gestion et la répartition de la rente sont sa raison d'être, en même temps que le ciment par lequel ce système survit. La rente justifie et organise la solidarité des clans et coteries qui se la partagent et se la disputent à la fois, assurant au pouvoir un équilibre jamais rompu, mais changeant au fil des évolutions des rapports de force. On en vient à constater que la corruption constitue, paradoxalement, le premier élément de stabilité du système, dans la configuration générale qu'il a depuis l'Indépendance. Maintenant que la corruption paraît s'être démocratisée, que même les fonctions électives s'achètent parce qu'elles sont pécuniairement profitables, on ne voit pas par quel moyen politique on pourrait ne serait-ce que concevoir le projet d'assainissement de la gestion des finances publiques. La vie politique l'illustre : on ne revendique plus la moralisation de la vie nationale ; on revendique son “quota”. M. H. [email protected]