Pour beaucoup, les convulsions qui agitent notre société actuellement viennent d'une dérive délibérée par rapport aux principes de La Soummam. Quand on revisite la plate-forme de La Soummam, on s'aperçoit que ce texte fondateur, quarante-six ans après son élaboration, garde toute sa fraîcheur et sa pertinence intactes. Nombre de problématiques, qui agitent aujourd'hui la société algérienne, trouvent leurs termes posés dans ce document. C'est-à-dire que ses rédacteurs, en particulier Abane Ramdane, avaient déjà à l'époque une vision prospective qui allait bien au-delà des aspects liés strictement à la conduite de la Révolution algérienne ici et maintenant. Les animateurs de la contestation citoyenne de Kabylie situent volontiers la plate-forme d'El-Kseur dans le prolongement de celle de La Soummam. Ce rapprochement, que d'aucuns contestent, existe bel et bien au niveau de l'un des principes majeurs de la plate-forme de La Soummam relatif au primat du politique sur le militaire. Le document d'El-Kseur ne demande rien moins que de placer les services de sécurité sous la tutelle exclusive des “autorités démocratiquement élues”. Au-delà de ce rapprochement entre la plate-forme d'El-Kseur et celle de La Soummam, la guerre ouverte que se livrent, depuis quelques mois, la présidence de la République et l'institution militaire est la preuve que trente-six ans après la rédaction de la plate-forme de la Soummam, la question du pouvoir reste fondamentalement posée, même si, sur un plan purement formel, la Première loi du pays a tranché. Sur le plan identitaire et religieux, des distances sont prises par rapport à une vision ethniciste de l'Algérie. “L'union psycho-politique du peuple algérien, forgée et consolidée dans la lutte armée, est aujourd'hui une réalité historique. Cette union nationale, patriotique, anticolonialiste constitue la base fondamentale et la principale force politique de la résistance”. Alors que l'Algérie est en pleine guerre de libération, les rédacteurs de la plate-forme de La Soummam se paient même l'audace de rompre avec une vision cocardière du nationalisme. “Les Algériens ne laisseront jamais leur culte de la patrie, sentiment noble et généreux, dégénérer en nationalisme chauvin, étroit et aveugle”. La dimension du religieux est clairement tranchée dans la plate-forme de La Soummam. Il est vrai qu'Abane Ramdane avait fait une concession aux ulémas qui venaient de prendre le train de la Révolution comme, du reste, d'autres forces qui, jusque-là, ne partageaient pas le principe de la lutte armée. En effet, en page 40, nous pouvons lire ceci : “L'impérialisme français a combattu le mouvement progressiste des ulémas pour donner un appui total au maraboutisme domestiqué par la corruption de certains chefs de confréries.” Cependant, cette reconnaissance concédée aux ulémas n'implique en rien des répercussion sur l'essence de la lutte contre le colonialisme et sur les contours de la République. “C'est une lutte nationale pour détruire le régime anarchique de la colonisation et non une guerre religieuse. C'est une marche en avant dans le sens historique de l'humanité et non un retour vers le féodalisme. C'est, enfin, la lutte pour la renaissance de l'Etat algérien sous la forme d'une République démocratique et sociale et non la restauration d'une monarchie ou d'une théocratie révolutionnaire.” Ces principes énoncés en 1956 sont autant de démentis cinglants à ceux qui prétendaient que la Révolution algérienne était menée sous la bannière de l'islam. Démenti aussi à ces révisionnistes de pacotille qui plaçaient la Révolution sous la tutelle paternaliste des pays moyens-orientaux : “La Révolution algérienne n'est inféodée ni au Caire, ni à Londres, ni à Moscou, ni à Washington”, proclame la plate-forme de La Soummam. En définitive, on peut considérer dans une large mesure que la crise politico-identitaire actuelle est la conséquence d'une déviation délibérée par rapport à la plate-forme de La Soummam. C'est pourquoi le salut de l'Algérie doit passer par le retour aux sources, c'est-à-dire la plate-forme de La Soummam qu'il faut réinventer. N. S.