Liberté, 1er novembre 2009 À l'heure où nous nous interrogeons avec insistance et forte inquiétude sur la situation présente de l'Algérie et sur son devenir qui semble compromis ainsi que celui des citoyennes et citoyens, il apparaît important de “jeter” un regard sur le passé, non pas pour relater les événements successifs qui ont marqué l'évolution du pays, mais plutôt (et beaucoup plus) pour (re)trouver des repères à même de fixer la compréhension, penser l'avenir et imaginer le devenir. Faire lecture des textes fondamentaux que sont la Proclamation du 1er Novembre 1954 et la Plateforme du Congrès de la Soummam du 20 Août 1956 nous impose de les soumettre à l'appréciation des citoyennes et des citoyens, à la critique de tous afin qu'ils servent et constituent la référence, qu'ils puissent nourrir et guider la réflexion sur le pays et l'action de chacun dans le sens des principes et valeurs posés par les fondateurs de la Révolution pour l'Indépendance, être érigés en critères et paramètres d'évaluation des actions engagées, entreprises dans tous les domaines, d'appréciation des attitudes et comportements des hommes et des femmes dans le et hors du pouvoir. Comme le pays vient de célébrer fort justement le 54e anniversaire de la Proclamation du 1er Novembre 1954, il est judicieux d'y revenir, après l'événement, pour examiner son aspect principal relatif à l'énoncé et à l'affirmation de l'Indépendance nationale, but que s'étaient assignés les militants qui allaient déclencher le processus de libération du pays du joug colonial. Il s'agit, donc, aujourd'hui d'interroger et de clarifier ce qui a été produit par le passé pour tenter de deviner ce qu'aurait pu être demain. A. DE LA PROCLAMATION DU 1er NOVEMBRE 1954 La proclamation au peuple algérien et aux militants de la cause nationale, avançant et posant l'indépendance nationale comme but poursuivi, énonçait celle-ci par : - “La restauration de l'Etat algérien souverain, démocratique et social dans le cadre des principes islamiques”. - “Le respect de toutes les libertés fondamentales sans distinction de races et de confessions”. Quel sens donner à cet engagement ? La colonisation étant la négation d'un système établi, d'un ordre fonctionnant selon ses propres règles et mécanismes, d'un mode d'organisation sociétal spécifique, voire même la colonisation comme confiscation, désarticulation et déstructuration de tout cela, il s'agissait pour les militants de la cause nationale de réparer cette situation par le rétablissement et la remise en ordre, en bon état, de ce qui présidait et prévalait antérieurement au fait colonial, d'où l'utilisation du terme “restauration”. Restaurer un Etat souverain signifie la poursuite de l'établissement de l'autonomie dans la prise de décision, l'autonomie de et dans l'exercice de l'autorité, du pouvoir, qui doit se faire en toute liberté et en toute indépendance sans interférence et sans ingérence extérieure. La souveraineté, quant à elle, implique la définition de règles d'exercice du pouvoir de décision par la prise en considération, la prise en compte des intérêts du peuple. L'Etat démocratique renvoie explicitement à la notion de couches populaires, érigeant le peuple comme principe de droit dans la gestion des affaires publiques, des affaires de la nation… d'autant qu'il est adjoint à cette notion, comme s'il fallait mettre l'accent sur cet aspect, le caractère social de l'Etat pour consacrer, si besoin est, le peuple en tant que source d'inspiration du droit de l'Etat indépendant. Pour l'époque, par opposition à la France, pays colonisateur, spoliateur, la référence aux principes islamiques, contenue dans le texte, renvoyait beaucoup plus et essentiellement aux notions de justice, d'égalité, de tolérance, de respect d'autrui , notions qui devraient prévaloir dans l'Etat souverain, démocratique et social projeté. Et bien que beaucoup de membres de l'OS et responsables du CRUA faisaient la prière, il n'y avait pas d'autres soubassements et/ou sous-entendus inavoués, fallacieux dans l'énoncé, au point où la Proclamation ne porte pas la mention “au nom de Dieu clément et miséricordieux”, alors que des reproductions aujourd'hui du document le font allègrement au point de falsification : à quel titre et en quel nom ? B. LA PLATEFORME DU CONGRÈS DE LA SOUMMAM DU 20 AOûT 1956 Au Congrès de la Soummam, et pour éviter toute interprétation, incompréhension et ambiguïté, les membres présents, dont beaucoup ont participé au déclenchement de la lutte armée, ont tenu à préciser et confirmer que la Révolution algérienne est : - “Une lutte nationale pour détruire le régime anarchique de la colonisation et non une guerre religieuse”. - “Une marche en avant dans le sens historique de l'humanité et non un retour vers le féodalisme”. - “Une lutte pour la renaissance d'un Etat algérien sous la forme d'une république démocratique et sociale et non la restauration d'une monarchie ou d'une théocratie révolus”. Une telle déclaration vient à juste titre clarifier, expliciter l'énoncé de la Proclamation du 1er Novembre 1954, d'une part, et renforcer les principes et idéaux qui ont motivé et présidé au déclenchement de la lutte armée, d'autre part, préciser les fondamentaux pour l'édification de la société algérienne post-indépendante, enfin. Il ne semble subsister aucune ambiguïté. En effet, les assertions du Congrès de la Soummam, représentatif de la lutte de Libération nationale, devaient constituer le soubassement de la lutte contre la colonisation comme système d'organisation et de gestion. Il n'était pas question d'assimiler la lutte de Libération à une guerre de religion ; ceci, afin justement, d'éviter l'instauration de la domination d'un groupe, d'un clan sur le reste de la population évacuant ainsi l'élément religieux en tant que moteur de la lutte, mode et système devant régir la société. Ainsi est-il réaffirmé et bien précisé qu'il s'agit de la renaissance d'un Etat sous la forme d'une république démocratique et sociale, signifiant une fois de plus fort justement, pour éviter toute méprise, qu'un tel système démocratique et social a existé par le passé, l'Algérie ayant déjà connu, ayant déjà été régie par des règles démocratiques, avant les différentes conquêtes, l'Algérie ayant été sociale. C'est pour cela que les congressistes rejettent alors les systèmes monarchiques et théocratiques. Ils ne souhaitent pas, le but atteint —l'Indépendance nationale— que l'Algérie soit gouvernée par un roi ou un empereur (régime généralement héréditaire où le pouvoir du monarque n'est contrôlé par personne d'autre), tout comme ils rejettent l'instauration d'un régime théocratique, c'est-à-dire un système politique exercé par ceux investis de l'autorité religieuse. C'est là où les deux textes (Proclamation et Plateforme) se rejoignent. Les précisions portant sur “le respect de toutes les libertés fondamentales sans distinction de races et de religions” dans le premier, et sur “la non-restauration d'une monarchie ou d'une théocratie” dans le second, viennent renforcer ce désir et cette volonté d'instaurer un Etat libre au sein duquel les citoyennes et les citoyens, du fait du caractère social de l'Etat, jouiraient de toutes les libertés par et avec la disparition, l'anéantissement du système d'exploitation et d'aliénation laissant place et mettant en œuvre la liberté vraie donnant naissance à l'individu affirmant totalement sa liberté et libre d'accès à l'expression et au droit du culte. C- APRÈS L'INDEPENDANCE Au regard des énoncés, la question est de savoir ce qui s'est passé et pourquoi les vœux formulés par des “hommes propres, honnêtes, imperméables à la corruption, courageux… (Plateforme)” n'ont pas été réalisés ? À l'Indépendance, l'instauration d'une politique démocratique, qui associerait tout le monde à l'effort de développement (la très grande majorité de la population étant constituée par la paysannerie), laissant apparaître les formes de socialisation des moyens de production imposant une justice dans la répartition du revenu, a été battue en brèche ou plutôt de plein fouet par la bureaucratie sacralisée par une sorte de pouvoir dans les structures de l'Etat ; une bureaucratie commençant à régenter les sphères économique, politique, les rapports sociaux, etc., à modeler le système d'exploitation et de répartition des richesses, à façonner les appareils d'Etat, le système politique.La technocratie latente, en gestation, et émergeant après les années 1970, a su (re)prendre à son compte les rouages de l'Etat pour s'imposer en caste dominante posant et faisant reposer son modèle hégémonique sur un soubassement bureaucratique, un socle sans ancrage réel dans la société et sans reconnaissance identitaire d'où une anarchie exacerbée au départ, une extraversion aggravée à l'arrivée. Ni la bureaucratie ni la technocratie ne sont porteuses de l'idéal d'un Etat souverain démocratique et social… En effet, et fort malheureusement, force est de constater que l'Algérie d'aujourd'hui s'est considérablement éloignée et écartée de celle préfigurée par les militants de la cause nationale, ceux qui avaient engagé le processus de libération pour l'indépendance nationale. À l'avènement de celle-ci, et des décennies durant, l'Etat s'est enlisé pour finir par ne pas se reconnaître dans ce qui lui a donné naissance, ne pas lui ressembler. C'est compte tenu de beaucoup de contradictions, de dérives, mais pour garder espoir, de correction, de changement, de retour à l'originel que la lecture proposée des deux textes fondamentaux semble encore opportune pour retrouver le bon sens, de façon à mettre un terme aux déviations et aux déviances. R. Z. (*) Citoyen