Perte de repères, perte de la mémoire, perte de son histoire, perte de soi… La perte est donc la seule constante dans les six documentaires proposés par l'association Cinéma et Mémoire, en collaboration avec l'association Chrysalide. La filmothèque Mohamed-Zinet (Riadh El-Feth) a abrité avant-hier soir une soirée documentaires, où il a été question de la projection de six documentaires issus des rencontres documentaires de Béjaïa en 2008 et 2009 et réalisés dans le cadre d'ateliers. Les six jeunes réalisateurs partent en quête d'absolu, en quête d'un concept qu'on appelle identité : abstrait, flottant et décisif pour la construction de l'être. Fateh, d'Abdenour Ziani, est un documentaire de 13 minutes où le réalisateur fait le portrait d'un plâtrier passionné de poésie. Il écrit des poèmes et les déclame, mais sa passion se heurte souvent à l'indifférence de ses collègues. Ce fait ne perturbe pourtant pas Fateh, engagé et dévoué corps et âme à sa passion, qui lui permet d'avoir un regard pointilleux sur la réalité de la vie, entre dureté, injustice et quête identitaire. En outre, le docu Fateh a été sélectionné dans la compétition de la 32e édition du Festival international du court métrage de Clermont-Ferrand, prévu cette année du 29 janvier au 6 février. Harguines harguines, de Meriem Achour Bouakkaz, est à la fois touchant et percutant. Le docu de 24 minutes tente d'expliquer l'inexplicable, tente de trouver des réponses à un non-sens. Qu'est-ce qui pousse les jeunes à quitter leur pays dans des embarcations de fortune tout en connaissant les risques qu'ils encourent en faisant ce choix ? Alors que certains expliquent le phénomène de la harga comme un moyen de résistance, d'autres le condamnent, et d'autres encore, comme Meriem Achour Bouakkaz, ont choisi de donner la parole à l'un de ces harraga, Fateh, qui a témoigné avec trois autres de ses amis des raisons qui l'ont poussé à entreprendre son périple vers la Sardaigne. Fateh n'a plus d'espoir et préfère mourir plutôt que de mener une vie indigne et sans aucune perspective. Fateh et plusieurs jeunes dans son cas préfèrent périr en mer, brûler les routes pour raviver la flamme de la vie, comme alternative à la perte. Bahia Bencheikh El-Fegoun a choisi d'évoquer, dans son documentaire de 30 minutes C'est à Constantine, sa propre histoire familiale et son rapport au passé et aux ancêtres. Elle filme le retour de sa sœur à la maison de son grand-père, mais, en réalité, ceci n'est qu'un prétexte pour mettre l'accent sur l'identité, qui se construit grâce au regard serein qu'on entretiendrait avec le passé. Mais lorsque le passé est occulté, que les gens qui emplissaient les maisons de vie ont disparu, que reste-t-il au jeune pour se projeter dans l'avenir ? Des fragments de souvenirs, des pierres et un grand vide intérieur qui rendent l'identité flottante. De son côté, Abderrahmane Krimat va à la découverte de la vie dans le Sud, plus précisément dans la région d'El-Bayadh, avec son documentaire une Simple visite qui tend à poser un regard sur le mode de vie de nomades, d'Algériens qui mènent une vie rude et extrêmement difficile, mais qui ne les incommode point… bien au contraire ! Un voyage initiatique donc dans le désert, quasiment similaire à celui que propose Nadia Chouieb dans Retour vers un point d'équilibre, où elle parle de quête de l'identité. Qu'est-ce que l'identité ? Question basique mais ô combien déterminante et décisive ! Une identité flottante La Troisième vie de Kateb Yacine, de Brahim Hadj Slimane, est le dernier documentaire proposé. Il s'intéresse à Kateb Yacine et à son parcours théâtral, notamment dans la ville de Sidi Bel-Abbès, à travers les témoignages de ses amis et collègues, membres de sa troupe. Toutefois, on reste sur notre faim à la fin du docu, trop court… trop brouillon surtout. De cette soirée, on retiendra surtout la quête identitaire, la déperdition et la recherche du “moi” dans le regard de l'autre. Mais on gardera surtout à l'esprit la naïveté du propos des jeunes “cinéastes” et l'imperfection de leurs travaux, représentatives surtout d'un regard frais, innocent, pertinent et caractéristique d'une “génération désenchantée” en quête de repères, dans un pays en mutation qui n'en finit pas de muter, et dans un monde globalisé et terrassé par la stratification des cultures.