Ce trente du mois d'octobre 2002, trois Algériens faisaient la “une” des journaux de l'ancien ennemi. Rafik Khalifa occupait hier la première et les quatre pages suivantes de Libération. En pages intérieures et en fausse “une”, partout, s'étalaient les portraits de Boualem Bensaïd, d'Aït Ali Belkacem, Smaïn de son prénom. L'année de l'Algérie en France — 2003 — a bel et bien commencé ! Mardi 29, l'avocat général Gino Necchi, faisant fi des preuves qu'il avait pourtant sous la main, s'est enflammé : “J'étais sûr que rien n'allait sortir de leurs bouches —Bensaïd et Aït Ali Belkacem—, il fallait les laisser tels qu'ils sont, pour qu'ils apparaissent tel quel. Hier, terroristes dans la violence, aujourd'hui, terroristes intellectuels”. Au passage, ce procureur pressé d'obtenir la perpétuité pour des hommes déjà condamnés pour d'autres faits à 30 ans et 10 ans de prison, respectivement, omet de verser dans le dossier d'accusation l'empreinte digitale de Bensaïd retrouvée sur un ruban adhésif qui ceignait la bombe utilisée à la station Maison-Blanche. Une gaffe qui va côtoyer le creux dans lequel nage l'attentat du 25 juillet 1995. Celui qui a fait le plus de victimes. Des témoins dont un gendarme sont même venus à la barre pour soutenir que Bensaïd n'était pas dans la rame qui a explosé ce jour-là, faisant huit morts et cent soixante-dix blessés. Aït Ali Belkacem a reconnu, pour sa part, avoir posé la bombe de la station Musée d'Orsay. Le relevé de sa carte orange prouve pour le moins qu'il est descendu à Javel, quelques minutes avant l'explosion. Les rétractations d'Aït Ali Belkacem ne changeront rien à l'évident : ces deux hommes étaient aux ordres de Zitouni. C'est bien le GIA qui a tué en France en 1995. Ça, tout le monde, et a fortiori les victimes, en est convaincu. Comment le prouver, cependant ? Gino Necchi, le procureur, est très énervé. Il se remémore ces quatre semaines de débats houleux. Parfois, le président a été obligé d'expulser Boualem Bensaïd. Il a eu des réflexions déguelasses. Pour les 200 victimes qui se sont portées parties civiles, c'était insupportable. Quand on lui disait : “Il y a eu huit morts à St Michel, il répondait, il y en a eu 200 000 en Algérie”. L'avocat général, faisant référence à la responsabilité des accusés, parle de lâcheté. Il veut savoir pourquoi ils n'avouent pas. Pourquoi ils ne reconnaissent pas le rôle qu'il juge déterminant qu'ils ont joué dans les attentats de 1995 ? Naïf... Le procureur répondra à lui-même : “Nous nous battons avec un code pénal. Eux avec des bombes, mais ce ne sont pas de vrais combattants, les combattants restent debout.” Ils ont été insolents. Insultants tout au long du procès. À tel point que leurs avocats ne savaient plus quoi plaider. Comment demander l'acquittement d'assassins tout en regardant les victimes dans les yeux ? L'attentat de Saint-Michel a été un petit “11 septembre”. Bensaïd et Aït Ali Belkacem ont installé la peur en France. Dans ce procès où il n'y a pas eu de preuves directes, il y a eu des éléments qui accusent sans aucune ambiguïté : on a retrouvé chez Bensaïd de la poudre noire, des clous, des bouteilles de gaz... Nul signe d'émeute, aux alentours du palais de justice, à quelques heures du verdict du procès Bensaïd, personne ne s'agite. Il y a un peu de monde. Sans plus. La salle est bien sûr pleine. Une vingtaine de personnes attendent la libération d'un strapontin... Impossible d'entrer dans la salle d'audience. Pour les journalistes, on a prévu un parc cerné de panneaux mélaminés. Une case, des chaises et un écran géant. C'est moins beau qu'un match de C1, mais tout aussi passionnant. Bensaïd et Aït Ali Belkacem sont là à quelques mètres. C'est donc ceux-là qui tuent ? Ils ont l'air de s'en foutre. Ils n'ont pas de sort. Ils sont déjà là-bas, comme Muhamed l'Américain. Le snipper. Ils sont combien en Europe ? Ils, ce sont les enfants de nos quartiers qui se retrouvent aujourd'hui en train de semer la mort à travers la planète. Ce box de journalistes nous a rappelé à notre anxiété. Boualem Bensaïd et Smaïn Aït Ali Belkacem, porteurs de haine, ont été jugés hier. À l'heure où nous mettons sous presse, le verdict n'avait pas encore été prononcé. Ils resteront en prison jusqu'en 2020 minimum. Le jour où ils verront, une nouvelle fois, le soleil, Bush ne sera plus là. Ni Chirac, ni Arafat, ni Sharon, ni Saddam, ni Bouteflika. Pas plus que Prince ou Ezzahi... Le monde aura changé, mais il n'aura pas oublié. M. O.