La voix de Rafik Moumen Khalifa est absente à Blida. Un livre "sur mesure" a raconté en 2001 sa version de la naissance et du succès de sa banque au cœur de la faillite du groupe. Intéressant à exhumer aujourd'hui. Morceaux choisis. Comment Rafik Moumen Khalifa en est-il arrivé à créer une banque privée en 1998 ? C'est, insidieusement, autour de cette question que son procès, qui se tient à Blida depuis une semaine, a consacré ses premiers jours d'audience. En l'absence de l'accusé principal dans le box des accusés, il n'est pas inintéressant de se remémorer le récit qu'il en faisait lui-même en 2001, lorsqu'il n'était pas très loin du sommet de son parcours. Cela prend le détour d'un récit, mis en mots par Denyse Beaulieu, une "journaliste" québécoise, auteur de Rafik Khalifa, histoire d'un envol édité par Servedit/Maisonneuve Et Laroche. Le livre s'appuie largement et quasi exclusivement sur le témoignage de Moumen Khalifa et de ses proches. « Tu vas voir, Je vais ouvrir une banque ! » Tout part bien sûr du lancement de la production pharmaceutique avec KRG Pharma et des difficultés qu'il va rencontrer longtemps durant pour "légaliser" son projet : « L'optimisme et l'obstination du pharmacien pionnier finissent par payer (…) : il obtient enfin du ministère de la Santé l'agrément n°001 (…). Et puis maintenant, il comprend sur le bout des doigts le fonctionnement de l'administration algérienne. Une connaissance qui va bientôt lui servir. Car en se lançant dans la production de médicaments, Rafik Khalifa sait très bien où il veut en venir. Il l'a toujours su. » Il savait donc qu'il allait créer une banque et trousser des milliers de gros et de petits déposants ? En fait, les choses paraissent plus compliquées. Dans son récit de 2001, Khalifa raconte à Denyse Beaulieu que l'idée de la banque privée provient de deux origines : sa connaissance du milieu bancaire et le sens de l'anticipation que lui a enseigné son père. Il lui répétait sans cesse : « Il faut anticiper. » Comment ? Après "le succès" administratif de KRG Pharma, les soucis de Rafik Khalifa sont loin d'être finis. Quand ce n'est pas le ministère de la Santé qui lui impose ses réglementations kafkaiennes, ce sont les banques qui lui opposent lenteurs et tracasseries. Régler un fournisseur à l'étranger tient du parcours du combattant, et ceux de KRG Pharma s'impatientent, téléphonent, tempêtent… Comment leur expliquer qu'en Algérie, le secteur bancaire, encore étatisé, est si vétuste que la plupart des clients ne disposent même pas de chéquiers, que les prêts sont accordés ou refusés sans logique apparente, que l'idée même d'une carte de crédit relève de la science fiction ? « Le haut fonctionnaire et le fameux agrément » « La nécessité va donc faire loi. Mais d'un mal naît un bien. Surtout quand on s'appelle Rafik Khalifa. Le jeune industriel passe tellement de temps à la banque que tout comme pour l'administration il finit par en saisir les plus subtils rouages. D'autant plus qu'à force de fréquenter ses banquiers, ces derniers sont souvent devenus des amis… Il a étudié de près le fonctionnement et les carences du système bancaire d'Etat. Il a réfléchi. Il sait ce qu'il faut faire. » Avec du recul, de telles sentences prennent bien sûr une tout autre signification prémonitoire. "Tu vas voir, je vais ouvrir une banque", annonce-t-il un jour à son épouse. Qui le prend immédiatement pour un fou. « Comment un pharmacien, même s'il a su créer une entreprise florissante, se transformerait-il comme par miracle en banquier ? » Même la portraitiste autorisée de Rafik Khalifa ne peut pas ne pas se poser la question autrement. Mais elle y répond comme une portraitiste officielle : « Il n'y aura pas de miracle. Juste un capital de départ fourni par KRG Pharma, un bureau à Chéraga et une poignée de gens qui font confiance à un garçon qui vient à peine d'atteindre la trentaine — avec une longueur d'avance. » Les premiers pas ? « Madame Taïbi, aujourd'hui (2001) directrice de Khalifa Airways en Algérie, était alors l'une des interlocutrices de Rafik Khalifa au ministère des Finances, dans le département qui s'occupait du secteur privé. Lorsque Rafik Khalifa lui propose de rejoindre la petite équipe de quatre ou cinq personnes chargées de créer la future banque, elle saute le pas (…). La jeune femme est chargée de la demande d'agrément auprès du ministère. Encore une fois, les lenteurs administratives freinent le processus jusqu'à ce qu'un hasard providentiel débloque la situation… Tout ça parce que Rafik Khalifa rate trois avions… Le quatrième est le bon. » « Moi, j'ai tout accepté ! » Et là se produit tout de même un petit miracle dans le récit de Denyse Beaulieu. Rafik Khalifa « est placé à côté d'un haut fonctionnaire capable de lui accorder le fameux agrément. Khalifa profite évidemment du voyage pour lui expliquer son projet et emporte la conviction de son interlocuteur. A l'atterrissage, l'affaire est conclue. » Grâce au livre de Denyse Beaulieu, on connaît la version khalifienne de la naissance d'El Khalifa Bank. Il reste à en expliquer le "succès foudroyant" dans un contexte où naissent d'autres banques privées. Djaouida Jazerli, la tante de Rafik Khalifa, propose une explication : "L'Algérie n'est pas un pays pauvre. Ce qui a fait sa pauvreté, c'est la gestion de ses ressources. Une fois l'économie libéralisée, pourquoi voulez-vous qu'il n'y ait pas d'argent ? Et lorsqu'une banque sait recevoir ses clients, les écouter, leur faire des propositions, mettre à leur disposition des instruments modernes, comment voulez-vous que cela ne marche pas ? » En somme, les Algériens étaient dans l'attente d'El Khalifa Bank… Mais quels Algériens ? « Très vite, spontanément, la clientèle afflue, rapporte le livre à sa page 55 : ménages, professions libérales, étudiants, PME, PMI et pharmaciens qui reçoivent un accueil particulièrement compréhensif chez leur ancien confrère… El Khalifa Bank, d'entrée de jeu, facilite les investissements. Ainsi, pour importer des marchandises en Algérie, il faut disposer de ce qu'on appelle une domiciliation dans une banque. Ces autorisations d'importer sont souvent refusées, pour des raisons obscures, par les banques publiques, même lorsque le demandeur dispose des fonds nécessaires. Moi, j'ai tout accepté ! clame Rafik Khalifa. Il se rappelle encore de sa première "domiciliation" : un monsieur qui voulait faire de l'importation de bière… »