Samuel Ciszik est un expert international dans le secteur de l'énergie. Il est chargé de la région Afrique du Nord et Moyen-Orient au sein de l'IHS Global Insight, un cabinet américain de consulting et d'évaluation des risques en matière d'investissements dans 200 pays. Dans cet entretien, il revient sur le scandale de Sonatrach, qualifiant les allégations de corruption de très graves. Selon lui, cette affaire risque de ternir l'image de la compagnie sur le marché international des hydrocarbures et auprès de ses partenaires étrangers. Liberté : La direction de Sonatrach fait l'objet d'accusations de corruption. Que pensez-vous de ces allégations ? Samuel Ciszik : Ces allégations sont très graves. L'implication de hauts responsables dans ce scandale constitue une épreuve dure pour la compagnie qui aura un peu de mal à s'en remettre, compte tenu des répercussions sur son système de fonctionnement. Cependant, il faut savoir que si le processus de restructuration est bien géré, Sonatrach en sortira plus forte. Le fait qu'elle soit au centre d'investigations poussées, devra aussi à long terme restaurer sa réputation. Car elle aura acquis une plus grande transparence. En votre qualité d'expert international dans le domaine des hydrocarbures, avez-vous soupçonné l'existence de pratiques de corruption à une aussi grande échelle au sein de Sonatrach ? Je pense que personne en dehors de la compagnie, ne s'attendait à la révélation d'un scandale de cette ampleur, impliquant un aussi grand nombre de responsables. Après tout, ce n'est pas comme si les individus impliqués voulaient que leurs plans soient découverts. En matière de transparence, cependant, Sonatrach est loin d'avoir une bonne réputation. Par conséquent, beaucoup de personnes, surtout les partenaires de la compagnie, n'ont pas dû être surpris en apprenant la nature des allégations. L'image de la compagnie dans le marché international risque-t-elle d'être affectée par le scandale ? Oui, naturellement. Cela apparaÎt comme un scandale significatif. Les allégations ciblent de hauts responsables. Si elles sont prouvées, cela voudra dire que la corruption est une pratique généralisée au sein de la compagnie. Comme je l'ai dit plus haut, sur le long terme, la réorganisation de Sonatrach, la mise en place d'une plus grande transparence et l'éradication de certaines pratiques, devront consolider sa position dans le monde des affaires et vis-à-vis de ses homologues du Moyen-Orient. Quelle sont les répercussions de cette affaire de corruption sur le fonctionnement de la compagnie ? La réalisation des projets et des plans de développement de Sonatrach risque d'être ralentie ou ajournée. La vacance du pouvoir au sein de la direction pourrait affecter le processus de décision. Sur un autre registre, cette affaire montre que la compagnie semble avoir raté l'opportunité d'entreprendre de véritables réformes dans le cadre de sa réorganisation, du management et de l'acquisition d'une plus grande clarté dans son fonctionnement. Le scandale pourrait-il affecter le niveau des revenus des exportations des hydrocarbures? Cela pourrait arriver si dans les prochains mois, les mécanismes de prise de décision ne sont pas remis en place, grâce a la nomination de dirigeants fiables. Le rythme de développement de la compagnie est déjà affecté par le ralentissement des investissements des compagnies étrangères d'hydrocarbures ces dernières années. Sonatrach pourrait avoir du mal a rattraper ses retards. Evidemment, les dégâts ne seront pas visibles maintenant et ne peuvent pas être évalués au jour le jour, à travers le volume de la production et des exportations. Dans l'une de vos analyses, vous décrivez Sonatrach comme une compagnie dont le fonctionnement est bureaucratique. Pourquoi ? La compagnie est réputée pour un fonctionnement lourd et centralisé. Beaucoup de décisions sont prises au plus haut niveau et impliquent plusieurs parties. Sans cela, elle est incapable de fonctionner. Avec la décapitation de sa direction, c'est tout le processus décisionnel qui sera bloqué. Sonatrach est l'une des plus importantes compagnies d'hydrocarbures en Afrique, qui génère d'énormes revenus. Pensez-vous qu'elle soit trop grande pour être bien gérée ? Pas du tout. Tout est une question d'organisation et d'application d'un modèle de management efficace et qui convient à la taille de la compagnie et à l'étendue de ses opérations. Dans ce domaine, Sonatrach connaît quelques problèmes. Certains analystes pensent que cette affaire de corruption pourrait avoir certains dommages sur la carrière politique de Chakib Khelil, ministre de l'Energie et des Mines, compte tenu des liens étroits qui existent entre lui et le patron de Sonatrach, Mohamed Meziane. Partagez-vous cette opinion ? Pas nécessairement. À ce stade, il n'y aucune raison de penser que M. Khelil a un quelconque lien avec cette affaire. Je pense qu'il est encore un peu tôt pour savoir de quelle manière le scandale va l'affecter politiquement. Pour le moment, il est surtout attendu du ministre de l'Energie qu'il fasse usage de son autorité et de ses compétences pour opérer les changements nécessaires dans l'organisation de la compagnie. Certains disent que cette affaire de corruption a des arrière-pensées politiques. Quel est votre avis ? Les accusations ne semblent pas avoir une motivation politique. Le profil des individus impliqués – le staff dirigeant de la compagnie – suggère néanmoins que l'enquête a été diligentée au plus haut niveau de l'Etat. Que devra faire Sonatrach pour regagner sa crédibilité ? La mise en place d'une plus grande transparence doit prévaloir dans la réorganisation de la compagnie, sur le plan de la gestion et de la conduite des opérations. Sonatrach doit également simplifier son mode de fonctionnement et la composante de sa structure dirigeante, pour accélérer le processus de prise de décision et fixer les responsabilités de chacun.