Classée patrimoine universel par l'Unesco depuis 1992, La Casbah d'Alger n'est plus que l'ombre d'elle-même. Elle tombe en ruine. Elle n'est plus qu'un vestige, qu'une relique poussiéreuse et usée. Pourtant, elle a réussi à conserver son âme. Lorsqu'on arpente ses rues, qu'on s'abandonne dans ses ruelles et qu'on se laisse guider par ses savoureuses senteurs d'antan, on découvre que La Casbah est l'âme d'Alger La Blanche. La Casbah est une part de nous-mêmes, qui nous rappelle que le passé, occulté, négligé et caché, finit toujours par nous rattraper. Mais, dans la vie, on a tendance à oublier les choses importantes et nécessaires. L'être humain préfère se concentrer sur le futile et le superficiel, pour expliquer le malheur qui s'abat sur lui. Ou, peut-être, pour le fuir. Toutefois, une fois par an, chaque vingt-trois février (depuis quatorze ans déjà), on se rappelle que La Casbah existe, qu'elle est toujours en ruine et qu'il faut agir pour la sauver. Car, chaque vingt-trois février, on célèbre la journée de La Casbah. Mais comment une cité peut être fêtée lorsqu'elle est plongée dans le noir et le malheur 364 jours par an. Comment peut-on célébrer La Casbah alors que ce qu'elle a été, ce qui a fait sa force, se conjugue à présent au passé. Mais on l'aime La Casbah. On l'aime, et c'est pour cela qu'on est aussi odieux envers elle. L'action est la seule chose nécessaire pour sauver ce patrimoine en péril. Et tant pis pour les indifférents, et que les nostalgiques économisent leur soupirs pleins de regrets. Il faut être réaliste et sans concession pour sauver une part de nous-mêmes, sans doute la meilleure. Lors d'une exposition qui se poursuit à l'Instituto Cervantès, nous avons eu à constater comment le quartier d'Hébron (Al Khalil) a retrouvé la vie grâce à la restauration. Lorsqu'on voit comment les Casbah de Tuniset du Maroc ont été transformées, deux sentiments typiquement humains nous envahissent : la jalousie et l'incompréhension. Et pourtant l'Algérie ne manque ni de ressources ni de compétences. Le plan de restauration mis en œuvre actuellement n'apporte concrètement aucun résultat puisque la dégradation de La Casbah se poursuit. Une véritable descente aux enfers ! Hormis l'état pitoyable de cette cité qui a connu la gloire dans le passé, et qui souffre aujourd'hui en silence. Même si l'on réussit à la réhabiliter, il n'est pas certain qu'elle puisse retrouver les saveurs et senteurs du passé. La Casbah d'avant c'était d'abord un mode de vie, un art de vivre avec le respect du prochain, la cohabitation harmonieuse et mouvementée, les fêtes familiales et les soirées “bouaqels” sur les terrasses ; c'était aussi les femmes en haïk et en seroual, et les hommes en chéchia. La Casbah c'était aussi et surtout les artisans, le chaâbi et les légendes. Celles-ci survivent toujours grâce à nos grands-mères qui, parfois, se rappellent quelques belles histoires sur El Maâkra, Khedaouedj El Amiyya ou Sidi Abderrahmane. Mais qui connaît ces histoires ? Y a-t-il un écrivain, un cinéaste ou un dramaturge qui a immortalisé artistiquement ces personnages, les légendes, ces fragments du passé pourtant si important pour déterminer notre avenir ? Reconstruire La Casbah serait extraordinaire, mais il faut également la réhabiliter dans sa dimension immatérielle.