C'est parce que c'est le mois du patrimoine qui frappe à notre porte, qu'on ressort de nouveau ce dossier de La Casbah, mais comme l'histoire de celui qui crie au loup, on apprend à ne plus y croire. Le triste sort de La Casbah est revenu sur le tapis encore une fois, mardi dernier, à la faveur d'une conférence animée par le sociologue et architecte urbaniste, M.Djaffar Lesbet au Palais des raïs (Bastion 23) à Alger, qui se félicitera de l'existence de photos signées des Français Alain Gedovius et Yves Robertet. Prises en Algérie entre 1959 et 1960 par ces deux appelés du contingent français, mais aussi photographes et architectes de surcroît, ces photos, qui sont exposées au Palais du raïs, serviront de support, selon M.Djaffar Lesbet, afin de reconstituer ces pans de quartiers et de maisons de notre Casbah qui tombe en ruines. Après un tour d'horizon où il dénoncera l'état de «négligence» auquel La Casbah est soumise aujourd'hui, «chose que je ne comprends pas» dit-il, l'orateur estimera que ces quelque 200 photos constituent un trésor inestimable, une chance et une richesse à même de pouvoir s y inspirer pour reconstituer à l'identique les sites de La Casbah qui ne font plus que tomber mais s'effacent déjà avec le temps. M.Djaffar Lesbet rappellera le travail de ces deux photographes dont les 60% des clichés pris en noir et blanc, ont été réalisés durant la nuit, alors que le couvre-feu était instauré. Il évoquera leur projet de convertir leur démarche esthétique naïve à l'époque en un contrat d'édition d'un livre sur la Casbah. Et de relever tous les «problèmes» auxquels fait face La Casbah. «L'autre drame qu'il faut dénoncer est cette charité mal ordonnée, le programme de relogement et de démolissement à la chaîne de certaines maisons. On prend le patrimoine en otage et on obtient un relogement. » Pour sauver La Casbah, dira M.Djaffar Lesbet, il faut tout un programme social à même d'évaluer les changements. Le sociologue parlera ici de toutes ces traditions hélas disparues aujourd'hui, notamment dans les habitudes culinaires, l'espace dit quartier des femmes qui n'a plus court actuellement. En somme, pour M.Lesbet, ces supports iconographiques peuvent aider à «reconstituer la mémoire des lieux, car certains quartiers de la Casbah ont été amputés d'une part de leurs maisons, d'autres ont disparu, emportant avec eux les souvenirs du vécu». Ils permettront aussi de «restituer la physionomie de la Casbah à la veille de l'Indépendance». A travers cette rencontre, l'architecte Lesbet mettra, en effet, l'accent sur l'état de vétusté de La Casbah qui perd chaque jour un de ses repères. Et de conclure: «La Casbah pourrait être le passage à témoin d'une génération à l'autre.» Oragnisée par l'association Sauvons La Casbah et le CCF, cette rencontre fut modérée par Mme Houria Bouhired, la présidente de l'association qui décriera, par ailleurs, l'indifférence des Algériens au regard des maisons qui tombent, et ce, malgré la batterie de lois notamment celle du 98.04 qui a échoué à mettre en application la réhabilitation du patrimoine. «Il faut qu'on cesse d'avoir des attitudes de nostalgie envers la Casbah. Elle a besoin de gestes d'amour au quotidien.» Etonnés mais pas vraiment surpris, on relèvera qu'aucun pays n'a accordé autant de subventions pour la sauvegarde de son patrimoine que l'Algérie. Par conséquent, c'est plus une question de société qu'un problème de financement. Yves Robertet dira être content de rendre enfin ces photos aux Algériens. «Ces photos qui ont plus de 45 ans, vont enfin prendre de l'air». Prenant la parole , M.Tazaïrt, président de la Fondation Casbah, réitérera son souhait de reconstituer La Casbah en images de synthèse. D'aucuns dénonceront également le laxisme des autorités mais aussi des citoyens qui font hélas de «La Casbah un tremplin de relogement» ou pis encore, ce plan de sauvegarde et de mise en valeur de la ville (Ppsmv) qui propose d'aménager des parkings à l'intérieur de la Casbah! «Une approche d'architectes et pas d'historiens qui n'ont aucun repère!» regrette-t-on. Enfin, on a beau parler, il est aussi dommage que la Casbah, classée pourtant par l'Unesco patrimoine de l'humanité et autres lieux en perpétuelle dégradation sur tout le territoire, soit fêtée ainsi comme un martyr qui a beaucoup donné puis plus rien. Une impression confortée par la déliquescence dans laquelle cette cité millénaire est jetée, comme un objet usé, fatigué de cacher éternellement ses rides, une face hideuse à force de vouloir dissimuler cette amère réalité à coups de couches de peinture... Une Casbah qui ne paie pas de mine, hélas, alors qu'elle fait la fierté de tous. Pourquoi alors seulement s'enorgueillir d'elle dans cet état ! Tout compte fait, y a pas de quoi se réjouir d'un tel bijou architectural, si on ne fait rien pour sauver ce patrimoine qui s'effrite de jour en jour.. Hélas, ces sonnettes d'alarme se font un peu plus puissantes, pendant le mois du patrimoine (18 avril-18 mai) mais se taisent après. Un silence de mort règne alors, à l'image de la Casbah dont la tombe ne cesse de se creuser, indubitablement. Jusqu'à quand? Jusqu'au néant. Et pourtant c'est pour bientôt ...