La Casbah d'Alger, autrefois infréquentable, est devenue la nouvelle destination des globe-trotters. L'antique cité reconquiert graduellement sa place dans les prospectus des tours operators, subséquemment à une longue période de précarité sécuritaire. Première étape du circuit, la citadelle d'Alger et le palais du Dey Hussein, sis à la rue Taleb Mohamed, où des flots de visiteurs étrangers sont amenés par les pullmans des voyagistes. Le guide choisi sur le tas par les responsables de la cellule fonctionnelle de réhabilitation, de sauvegarde et de gestion urbaine de La Casbah d'Alger nous confie : « Le circuit est établi par les services de la wilaya d'Alger et aucun touriste n'a le droit de s'isoler du groupe des visiteurs. La présence des agents de l'ordre public, en charge de la sécurité des touristes contre les vols et les agressions, est moins envahissante que par le passé. Les visiteurs sont pour la plupart des anciens pieds noirs de la rue Rovigo, l'actuelle rue Debbih Chérif ». L'escapade à La Casbah commence par la visite de la villa du centenaire, l'actuelle maison du millénaire et siège de la Direction de la culture de la wilaya d'Alger, située à la rue Mohamed Azzouzi, juste après une halte au pied de la statue de Bologhine Ibn Ziri, établie au rond-point de Bab Edjedid. Le tour se poursuit à la mosquée de Sidi Ramdane, qui offre une vue imprenable sur l'Amirauté avant l'amorce de la venelle de Sidi Dris Hamidouche (ex-rue de La Casbah), qui débouche à la basse Casbah par la rue Arbadji Abderrahmane. Le groupe de visiteurs s'élance ensuite vers le quartier de Zoudj Ayyoun à travers la rue du Professeur Souilah, où se trouve la mosquée de Ali Betchine. Le Musée des arts traditionnels et populaires de Khedaoudj El Âamia, situé à la rue Rachid Chebouba, vient en alternance avec la visite de Dar El Cadi, le palais de Ahmed Bey, le palais de Hassan Pacha, Dar Aziza et la mosquée de Ketchaoua, établis à la rue Hadj Omar (ex-rue Bruce). L'itinéraire prend fin avec la tournée de Djamâa Lekbir (la grande mosquée), Dar Essouf, les palais de Mustapha Pacha et des Raïs et le Bastion 23. Au demeurant, tout doit être impeccable sur le circuit spécialement aménagé. Certes, c'est exotique et ça plaît aux touristes. En revanche, la culture Casbah, en l'occurrence la vraie vie des gens du quartier de Bir Djebah, de Sidi Bouguedour et de Houanat Si Abdellah, ce n'est pas ça ! Rien ne tient debout à La Casbah historique que l'on veut occulter à tout prix et dont la population est estimée au dernier recensement effectué en 1998 à 40 000 habitants. De la poudre aux yeux Le tiers des bâtisses de La Casbah, estimées à 945 douerate et édifiées sur une surface de 50 hectares, se sont écroulés. L'antique Casbah, ou ce qui reste aujourd'hui du témoin des civilisations de l'Alger ancien des maures et de l'empire ottoman, est abandonnée à la poussière, en dépit du plan de délimitation adopté par le gouvernement en 2004 à travers la loi 98-04. Les cadres techniques de la cellule fonctionnelle de réhabilitation, de sauvegarde et de gestion urbaine de la Casbah d'Alger ont déclaré sous le sceau de l'anonymat : « Le tourisme est tributaire d'un programme de réhabilitation. Le plan de sauvegarde élaboré par le Cneru en 2001 comprend trois chapitres, dont la phase de présentation, le cycle d'aménagement et les cas des urgences. L'étude concerne la préservation de huit îlots, identifiés à travers la citadelle, Sidi Ramdane, la rue Amara Ali et la rue de la mer Rouge situés dans la haute Casbah. L'étude prend également en charge la réfection des portions de la basse Casbah, la porte de Lalahoum, le Souk el djemâa et la rue de la Marine. La maîtrise d'œuvre a été approuvée par l'Apc et l'Apw d'Alger en leurs sessions plénières. Seulement, l'exécution de l'étude reste tributaire de son examen et approbation par le Conseil des ministres. » La wilaya déléguée de Bab El Oued en charge du dossier depuis quelques mois a lancé une campagne d'enlèvement de gravats, d'aménagement des placettes, de ravalement des façades et de restauration des palais alors que l'Opgi de Bir Mourad Raïs et l'Ofares se sont chargés des travaux de confortement des bâtisses touchées par le séisme du 21 mai 2003. Actuellement, « le gros du travail a été fait », selon les dires du wali délégué de cette circonscription qui s'exprimait dans l'une de nos précédente éditions. Les célèbres palais et mosquées turcs ainsi que les fontaines publiques ont été, de l'aveu de ce responsable, restaurés. Sauf que cette opération, que d'aucuns qualifient d'une éclaircie dans la grisaille, s'est arrêtée nette, même si entre temps huit décrets d'application ministériels et interministériels sont venus renforcer l'organisation de La Casbah d'Alger en secteur sauvegardé. « Les travaux de restauration des palais sont à l'arrêt. Les deux minarets de la mosquée Ketchaoua, classés orange 4 sont fissurés. Ils n'ont pas été restaurés jusqu'à présent », expliquent nos interlocuteurs, indiquant que pour parvenir à un véritable travail de sauvegarde et de restauration, il est nécessaire de bannir « les échéances de prestige ». La nouvelle configuration des îlots proposés à la protection de ce site réclame une démarche multisectorielle en raison de l'ampleur de la tâche. « 90% du patrimoine bâti relèvent de la propriété privée et la majorité des propriétaires ne vivent plus à La Casbah. C'est pourquoi, il est difficile de les approcher. Il ne faut pas perdre de vue que les placettes ont été aménagées sur les décombres des douérate qui se sont écroulées. Elles appartiennent, pour leur majorité, à des privés. D'où la nécessité de combler le vide juridique par des textes qui vont définir la nature des démarches à entreprendre dans la protection de ce patrimoine. En ce moment, l'urbanisation sauvage a pris le pas sur la reconstruction à l'identique », ont tenu à préciser nos interlocuteurs. Depuis, rien n'a vraiment changé au pied de ce colosse aux racines multiples, devenu la perle du patrimoine mondial ! Au train où vont les effondrements, notamment à la rampe Ahmed Benganif, près de l'école Sarouy, le quartier de Soustara va bientôt s'ouvrir aux barons du foncier. Et dire que cet univers, jadis de luxe et d'opulence, est en train de s'effondrer à la vitesse de l'éclair. Classé patrimoine universel par l'Unesco en 1992, sa notoriété n'est plus à faire. Malgré cela, le sort de l'œuvre exceptionnelle qu'est la vieille médina est pareil à un « k'bar mensi » (une tombe oubliée) sur lequel on se recueille au gré d'un éphéméride rythmé de célébrations pathétiques du mois du patrimoine (du 18 avril au 18 mai) et de la journée de La Casbah (23 février). L'Unesco, qui n'a pas les prérogatives d'interférer auprès des dirigeants propriétaires d'héritages anciens en péril, désespère réellement devant les tergiversations accumulées dans la réalisation du projet de réhabilitation de l'antique citadelle. L'Unesco dispose uniquement du rôle d'interlocuteur en conseils et d'assistance. Les rencontres épisodiques autour de l'éternel thème de « la sauvegarde de La Casbah » ne trompent plus personne. Idem pour les associations de La Casbah qui, de l'avis de plusieurs intervenants, ne sont là que « pour le décors et des intérêts mesquins ». « La Casbah est toujours considérée comme un centre de transit. Pis, elle est devenue une affaire juteuse pour une certaine catégorie de nababs qui l'utilisent comme un fonds de commerce. C'est pour cette raison qu'elle est maintenue en l'état actuel », nous confie un Casbaji très au fait des affaires qui se trament dans ce vestige historique. Et de rétorquer à notre question sur la présence en masse de l'industrie informelle : « C'est un secret de Polichinelle de vous dire que les grands beznassiya du tabac, de la confection et du stockage des produits pyrotechniques ont élu domicile à La casbah. Vous n'avez qu'à constater de vous-même le nombre d'ateliers de confection, de fabrication de cigarettes locales et de tabac à priser (chemma) ou encore les dépôts de pétards et de produits divers qui s'y trouvent. » Vérités Par ailleurs, les cadres techniques de la cellule fonctionnelle rappellent que les familles, à l'exemple de celles habitant l'îlot Sidi Ramdane, relogées dans des appartements, ont soit fait appel à des proches pour louer leurs douérate. « C'est pour cette raison que le tiers du quartier de Sidi Ramdane est actuellement occupé alors qu'on principe, il devrait être vide. » Nos interlocuteurs préconisent, comme ultime solution, la délocalisation de l'ensemble du site et le relogement de toutes les familles : « Il faut une réelle volonté politique de la part de l'Etat si on veut absolument préserver ce site. L'Etat doit frapper fort en entreprenant une opération d'expropriation de l'ensemble des habitations et des commerces puis en clôturant la totalité du site. Par la suite, il doit entreprendre une véritable opération de réhabilitation en associant l'ensemble des entreprises publiques algériennes, à l'instar de l'Ecotrabeo, qui ont acquis une enrichissante expérience dans ce domaine, et ce, sans se soucier ni du temps que cela prendra ni des enveloppes budgétaires qu'il aura à débourser. L'anarchie doit cesser. » En attendant, les recommandations tant de fois ressassées s'égarent à leur tour dans les labyrinthes des « sabbate » et dans l'enchevêtrement de l'incohérence, où se mêle toute une pléiade d'opérateurs qui se marchent sur les pieds. Nadir Kerri , Nazim Djebahi