Le match amical entre l'Algérie et la Serbie aura battu le record des scandales et restera gravé dans les mémoires comme une honte difficile à digérer. Les responsables, à tous les niveaux, de cette succession de scandales auront atteint le summum de l'irresponsabilité et porté un sérieux coup à ce qui restait comme crédibilité au pays. Comment, en effet, imaginer que le pays puisse organiser une quelconque manifestation sportive internationale après ce qui s'est passé mercredi dernier ? Lorsqu'on est incapable d'organiser un match amical, on doit avoir l'humilité d'apprendre chez ceux qui savent le faire. Le jour même, d'autres stades du monde accueillaient, le plus normalement du monde, plus de 80 000 supporters chacun, sans qu'il y ait eu le moindre incident. Ce qui vient de se passer au stade du 5-Juillet et aux alentours dépasse l'entendement : des milliers de supporters, venus de toutes parts, n'arrivent pas à accéder au stade, malgré le fait qu'ils disposent de billets d'accès. Des familles malmenées et traumatisées à jamais par ce qu'elles ont subi comme insultes et autres agressions. L'expérience pilote des femmes dans les stades de football aura fait long feu avant que la régression mentale la plus violente ne vienne casser cette fusion sociale. Des fumigènes, des jets de projectiles, des blessés, des vols, des voitures saccagées et des officiels invités qui s'enfuient pour sauver leur tête dans un spectacle affligeant, devant une passivité incompréhensible du service de l'ordre complètement dépassé par l'événement. Dans un stade où l'assistance a dépassé les prévisions des organisateurs, les supporters n'avaient même pas accès aux toilettes. Avec une pelouse ressemblant à un champ de patates, même s'il a coûté des milliards et valu la fermeture du seul stade “valable” de la capitale pendant longtemps. Un éclairage qui fait des siennes et une anarchie indescriptible. Pourtant, le match était prévu de longue date et les responsables du stade affirmaient à qui voulaient les entendre que tout allait être prêt pour réussir cet événement et que la pelouse allait être en bon état. On a vu le résultat. Un match censé se jouer à guichets fermés et, pourtant, un déferlement de supporters, des “intrus” qui entraient de partout, avec la complicité de toutes sortes de responsables, et par tous les moyens, y compris en payant pour faire le mur ou en accédant dans des ambulances. Mercredi dernier, l'esprit d'Oum Dourman a volé en éclats. La cohésion sociale née d'une qualification historique au Mondial a pris de l'eau de toutes parts. Est-ce la fin d'un mythe ? Beaucoup d'indices laissent penser que les millions d'Algériens qui avaient reçu et acclamé les héros de Khartoum ne sont plus dans le même état d'esprit et que beaucoup parmi ceux qui ont fait le déplacement à Oum Dourman et au stade du 5-Juillet ce mercredi hésiteraient à faire un autre déplacement pour voir les poulains de Saâdane jouer au football. Le phénomène des Verts, qui avait transformé toute une société, l'espace d'une campagne de qualification au Mondial, en un grand fan club, est en passe de s'éteindre, laissant planer la question de savoir en quoi, ou en qui croira ce peuple demain ? Le football n'est, certes, qu'un jeu, mais il a été, momentanément, un véritable catalyseur de l'unité nationale. L'équipe nationale a constitué un véritable motif de fierté pour tous les Algériens, d'ici et d'ailleurs. Elle représentait, à elle seule, l'espoir de tout un peuple. Maintenant que ce mythe s'évapore, à quoi vont s'accrocher les millions d'Algériens ? Aux prix des produits alimentaires qui montent en flèche ? Ou aux grèves interminables dans la santé et l'éducation ? Même si l'on ne doit pas résumer la vie d'un pays en un match de football, aussi amical soit-il, les scandales du match de mercredi dernier ne devraient pas passer sous silence, au risque de compromettre sérieusement et durablement la crédibilité du pays. Des parasites de tous bords ont faussé cette fête de football. Les joueurs de l'équipe nationale ont été assaillis par des intrus dès leur descente d'avion. Cela va des “pafistes” aux douaniers, en passant par les “personnalités” qui ont introduit leur progéniture au salon d'honneur. Même dans leurs chambres d'hôtel, pourtant militaire et fermé à toute personne étrangère, les joueurs n'ont pas échappé aux parasites. C'est que pour bon nombre de responsables, pouvoir s'introduire dans la chambre d'un joueur, ou à leurs vestiaires, est une preuve qu'ils sont des “quelqu'un”. Et ils s'en vantent entre eux. D'ailleurs, à l'occasion de ce match, beaucoup ont proposé leurs services pour introduire les enfants de leurs supérieurs à l'hôtel militaire de Beni Messous ou à la tribune officielle. Et comme ils étaient nombreux ces “quelqu'un”, la tribune de presse a été squattée par les moins nantis parmi eux. Ceux qui, parmi le staff technique de l'équipe nationale, ont opté pour des stages et des matchs amicaux à l'étranger n'ont finalement pas eu tort. On n'a pas les moyens, et surtout pas la culture, d'organiser un stage sérieux de préparation en Algérie. Les responsables, qui aiment assimiler leur image à celle de la réussite de l'équipe nationale, devraient plutôt songer à faire leur travail, en commençant par asseoir les conditions objectives pour l'instauration d'un vrai professionnalisme en Algérie. Résoudre l'éternel problème des stades, des pelouses et mettre, enfin, les structures déjà construites pour la préparation des élites sportives algériennes, comme le centre de Sidi Moussa ou celui de Tikjda, avant de songer à en construire d'autres. Mais, le plus urgent reste à maîtriser le phénomène de hooliganisme dans les stades et aux alentours. Pour l'instant, force est de constater que ce sont les hooligans qui imposent leurs lois, qui défient celles des autres. Pour le derby MCA-USMH, les autorités locales de Rouiba ont refusé de prendre le risque d'accueillir les supporters des deux équipes, obligeant les responsables de la ligue à reporter la rencontre. Est-ce une solution ? Combien de matchs ont été reportés pour la même raison ? Pourtant, les responsables chargés de la gestion de ce genre de situations continuent à faire comme si de rien n'était et, avec leur nonchalance habituelle, constatent les dégâts bien après. Cette attitude est d'autant plus dangereuse que le hooliganisme a débordé des stades vers les rues, et même dans les établissements scolaires, pour devenir une sorte d'expression juvénile, devant le sentiment d'impunité généralisé. Il serait trop facile d'accuser les jeunes désœuvrés. Mais, en réalité, dans les mouvements de foule, il y a toujours des meneurs, des donneurs d'exemples. Le jour où nos tribunes officielles reviennent à qui de droit et donnent le bon exemple, on aura, en face, des tribunes de vrais supporters. Le match de mercredi soir ne doit pas être mis aux oubliettes. Bien au contraire, il doit servir de leçon, à tous les niveaux, pour qu'on arrête les dégâts.