“L'empêchement de soigner les patients est un acte de non-assistance à personne en danger”, a déclaré le ministre de la Santé, suggérant que les médecins fonctionnaires en grève sont en situation délictuelle. Joignant la menace à l'accusation, Barkat ajoute : “La justice fera son travail.” Pourtant, depuis le temps que la détérioration lente mais soutenue de l'institution hospitalière a fini par remettre en cause la réalité du service public sanitaire, “la non-assistance à personne en danger” est transcrite dans la politique même de santé publique. Peut-être qu'on peut, comme le ministre, trouver exagéré que des médecins disent qu'“il leur faut un logement sinon on fait la grève”, mais le spectacle des conditions de travail, à lui seul, est éloquent de l'état auquel est rabaissée la médecine “ordinaire”. Il suffit de contempler le niveau de délabrement de certains services, comme la réanimation au CHU Mustapha d'Alger, par exemple, pour se convaincre du soin que l'autorité apporte aux structures de santé même les plus sensibles. Il est parfois mis plus d'attention à soigner la carrière de certains chefs de service, quitte à les mettre au Sénat pour les extraire de la condition de simple cadre de la santé, qu'à entretenir et à équiper leurs … services. Le patient, qui partage ces conditions de travail avec le personnel, sait à qui renvoie la notion de non-assistance quand, par exemple, il doit attendre que son médecin aille emprunter un instrument à son confrère d'à côté pour revenir lui appliquer l'acte médical que commande le diagnostic ou le traitement. Il n'est au demeurant pas nécessaire de décrire la situation des structures de santé publique pour se convaincre de l'infirmité de notre système de santé. Il suffit d'observer que le passe-droit type en Algérie consiste en la possibilité d'une prise en charge médicale à l'étranger. Le phénomène a engendré une véritable fracture sanitaire entre la majorité qui n'a d'autre choix que de subir la médecine locale handicapée par des années de sous-politique sanitaire et la minorité qui peut se payer, financièrement ou politiquement, des soins dans une clinique ou un hôpital européens. La prise en charge médicale, devenue un privilège politique catégoriel financé par les cotisations de tous, met les puissants à l'abri de la dégradation du système national de la santé désormais dédié aux petites et moyennes catégories. Et même dans ce système dégradé, la pénurie de places, de produits, d'équipements oblige à jouer du piston pour prétendre à la meilleure prise en charge. La grève que Barkat dit être compensée par “le travail des chefs de service et des spécialistes” aggrave cet état de fait. Si bien que les plus démunis, en termes d'argent comme en termes social, sont objectivement orientés vers la médecine “commerciale” s'ils ne veulent pas peupler les files d'attente en attendant “l'horizon 2014”, comme nous le prédit le ministre. Le réseau hospitalier est constitué d'infrastructures pour la plupart centenaires, et il n'accueille plus que les petites classes. Alors que les Algériens peinent à se soigner, la polémique sur la légitimité de la grève des praticiens de santé publique, si elle est réduite aux aspects salaire ou logement, constitue elle-même une fuite en avant devant ce sous-développement sanitaire galopant. M. H. [email protected]