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Quartiers résidentiels sous le diktat du Bazar
Litige sur les constructions à Hydra
Publié dans Liberté le 13 - 08 - 2003

Décidément, les quartiers résidentiels d'Hydra commencent, de plus en plus, à perdre leurs qualités invétérées de confort, de prestige et surtout de calme pour lesquelles ils étaient réputés jadis.
La rue de Césarée, qui a accueilli dès les premières années de l'Indépendance les hommes forts du régime de Boumediene, de ceux qui se sont succédé et qui a “enfanté” les personnes très proches du pouvoir, n'a pas échappé au phénomène de l'affairisme. Ses résidents ne s'y reconnaissent plus. L'exemple le plus édifiant demeure le n°14 de la rue de Césarée où la construction d'un immeuble de trois étages à usage commercial a suscité moult réactions chez les riverains. En effet, les habitants des villas situées en face, sur le n°5 de la même rue, se sont fermement opposés à l'édification de ce bâtiment. Le plus touché, en l'occurrence M. Mekhzer Mokhtar, réside juste en face. Il s'estime lésé par cette construction qu'il qualifie d'“illicite”. Dans une lettre qu'il a adressée aux propriétaires du bâtiment en question, la famille Boualeg, datée du 12 novembre 2002, il a signifié clairement que la construction a été édifiée en “violation” de toutes les règles d'urbanisme et de voisinage et “sans permis de construire”. M. Mekhzer leur a, en outre, expliqué que le permis de construire qu'ils ont obtenu, délivré en date du 7 juillet 1999, sous le n°99/41, concernait uniquement la surélévation de la villa qui existait sur le même lieu auparavant. “Vous avez procédé à l'ouverture sauvage de trois commerces sans autorisation de l'APC et en violation du cahier des charges du lotissement. Ce qui a créé une situation préjudiciable pour tout le quartier”, ajoutera-t-il dans sa correspondance.
Cet habitant subit, selon lui, plus de gêne, de nuisance et un grave préjudice lié à la dévalorisation à plus de 50% de la valeur de sa propriété. Sa villa, estimée à plus de 150 000 000 DA, a perdu la moitié de sa valeur du fait, dit-il, de la violation de son intimité. L'intérieur de sa résidence, ses jardins, sa piscine, s'offrent ainsi, à la vue des clients et des couples qui fréquentent le 1er et le 2e étages dudit immeuble où sont ouverts une pizzeria et un restaurant dénommés Le Palace. Les clients, qui se rendent à la superette aménagée au rez-de-chaussée, stationnent leurs véhicules, avoue-t-il encore, devant sa villa, l'empêchant ainsi d'entrer et de sortir aisément de sa maison et de ses garages.
Dans sa lettre, M. Mekhzer a mis en demeure les propriétaires concernés et leur a demandé de démolir carrément ce vaste centre commercial, sinon il recourra à la justice. Faisant allusion à ce propriétaire, il parle de comportement “incorrect, incivique, irresponsable et contraire à toutes les règles de bon voisinage et des bonnes mœurs algériennes”. Ses différentes démarches auprès des services de l'APC d'Hydra se sont avérées vaines. Pourtant, le secrétaire général lui a expliqué, au cours d'une rencontre en juillet 2002, que l'APC s'opposait à l'ouverture “sauvage” de ces commerces : la superette, le salon de thé, la cafétéria, la pizzeria et le restaurant. Le SG, se rappelle le plaignant, lui a également demandé de surseoir aux actions de justice qu'il a envisagées car, l'APC mettra sous peu un terme à cette violation des règlements et du cahier des charges du lotissement de ce quartier résidentiel.
Toute construction à usage commercial interdite
Dans le cahier des charges du lotissement, chapitre “prohibitions”, il est fait mention d'une manière très claire : “Les terrains lotis étant essentiellement destinés à l'habitation, il est interdit d'y établir des gourbis, fabriques, usines, entrepôts… Il en sera de même pour tous les métiers, industries, commerces ou locaux à usage de porcherie ou écurie de nature à nuire aux voisins…” Ce responsable a été convaincu par la pétition signée par les résidents contre l'exercice de ces activités et par les résultats de l'enquête de commodo et incommodo qui ont déterminé leur opposition la plus ferme. “Comment a-t-il obtenu le permis de construire en violation des règles élémentaires de l'urbanisme : l'empiètement sur la voie publique, le non-respect des plans et du pourcentage d'occupation du sol et le non-respect de la règle H, relative à la largeur de la rue ?” Ce sont les quelques griefs retenus par les citoyens frondeurs contre le propriétaire. M. Mekhzer réitère sa position, en guise de rappel, au SG dans une autre lettre en date du 31 août 2002, mais en vain. Toutes les intenses réactions et les diverses réclamations auprès des instances concernées sont restées lettre morte. Il a même pris contact le 1er septembre 2002 par courrier avec le Centre national du registre du commerce (CNRC) et a expliqué les faits afin de connaître sa position.
Il a fourni à cet organisme les documents exigés, tel le cahier des charges du lotissement. Un huissier de justice du tribunal de Bir-Mourad-Raïs, qui a constaté les faits, a envoyé, lui aussi, une lettre sous forme d'un avertissement au propriétaire du centre commercial, datée du 12 novembre 2002 sans obtenir, toutefois, la moindre réponse. Les correspondances adressées au P/APC, le 4 janvier et le 3 février 2003, n'ont connu aucune suite, y compris celle du 2 mai 2003, destinée au wali d'Alger, dans laquelle il a demandé la démolition pure et simple du bâtiment en question. Pour rappel, les services de l'urbanisme de l'APC d'Hydra ont, en date du 29 avril 2001, bel et bien notifié à l'intéressé une décision de suspension des travaux. Pis, on a même menacé de lui détruire la bâtisse en cas de refus d'exécution de ladite décision. Dans leur rapport, ces mêmes services évoquaient le non-respect des plans approuvés, objet du permis de construire n°41/99 du 12 mai 1999, à savoir corps d'état secondaires (CES), ZNA (zone non à déféconder) non respectée et la non-conformité de l'implantation du bâti de l'extension horizontale. La conclusion du rapport fait état d'une construction en cours de réalisation en toute contradiction avec les plans approuvés. Pour mieux cerner la problématique, une visite des lieux est indispensable.
Au 14, rue de Césarée, le propriétaire est absent. Nous avons pris attache avec les locataires. Kamel, gérant du restaurant-pizzeria Le Palace, est catégorique : “J'exerce dans la légalité la plus totale.” Il lancera tout de go : “Mon établissement est légal vis-à-vis de toutes les institutions de l'Etat, notamment le CNRC. Je dispose d'un code et d'une position fiscaux. Mieux, les services d'hygiène, y compris les pompiers, se sont déplacés et n'ont rien signalé d'anormal.” Notre interlocuteur indique que le contrat de location auprès du propriétaire a été signé en bonne et due forme et qu'il a fourni toutes les pièces nécessaires, y compris l'autorisation de l'APC, pour constituer un dossier de demande de registre du commerce qu'il a d'ailleurs obtenu. “Les quartiers d'Hydra sont devenus des lieux de commerce et d'affaires. Ils ont perdu leur réputation d'antan”, dira Kamel revenu de France pour s'installer en Algérie et faire bénéficier, selon lui, son expérience aux jeunes de son pays. “On trouve des commerces dans tous les coins de la commune. Ce ne sont plus des quartiers résidentiels”, ajoutera-t-il. Interrogé sur l'utilisation de la terrasse par ses clients, Kamel nie tout en bloc. “Le propriétaire ne veut pas qu'elle soit utilisée par les locataires que nous sommes.” Ayant eu accès à la terrasse, nous avons constaté de visu que l'endroit n'est qu'un débarras où des objets inutiles sont jetés ça et là. “Vous voyez, pourrait-on accueillir des clients dans ces conditions ?”, s'est-il interrogé. “Nous avons même effectué un sablage des vitres du restaurant pour qu'elles ne soient pas visibles à l'extérieur afin de respecter l'intimité des voisins d'en face”, précisera cet enfant du quartier. Au deuxième niveau de ce bâtiment, nous avons remarqué une grande salle fermée, renfermant de nombreux billards. C'est quoi ? “C'est la salle de billard, car nous comptons créer un club”, répond-il. Pourquoi est-ce fermé ? “Nous avons formulé une demande à la Fédération et nous attendons sa réponse”, rétorque-t-il. Cependant, notre interlocuteur n'a, à aucun moment, reconnu qu'il y a eu une farouche opposition de la part des riverains pour l'ouverture de cette salle de jeux.
“Nos activités sont conformes à la réglementation”
Son voisin, Djamel, est propriétaire d'une superette au rez-de-chaussée. La superette Kheyar est très connue à Hydra. Auparavant, raconte Djamel, il a ouvert un magasin à la rue Oasis, puis à la rue du Hoggar. Il était à l'affût d'un autre local.
Ce qui l'a conduit vers la rue de Césarée où un bâtiment destiné à un usage commercial était édifié. Pour ce supermarché et la boulangerie-pâtisserie, Djamel a eu l'aval des riverains. Folâtres, ces derniers ont jugé que les activités pour lesquelles a opté ce commerçant répondront à leurs besoins. “Nous avons eu l'autorisation de l'APC après une enquête de commodo et incommodo et nous disposons d'un registre du commerce ainsi que d'un contrat de location établi en bonne et due forme”, avouera-t-il. Poursuivant notre enquête, nous avons pris attache avec le P/APC, en l'occurrence M. Bennour Karim. Selon lui, l'affaire remonte au temps de l'ex-maire, M. Ramdane. M. Boualeg Louardi a acheté le bâti (le terrain et la carcasse) à la rue de Césarée. Il a procédé à des aménagements. Le maire précisera que l'intéressé s'est présenté à l'APC pour déposer un dossier technique. “Sur la base de ce dossier, nous avons délivré un permis de construire, signé par l'ex-maire.” Le premier magistrat de la commune reconnaît qu'une partie de l'extension n'a pas été réalisée en conformité avec les plans approuvés. L'actuel président lui a notifié, à ce propos, une décision de démolition. Le propriétaire, a-t-il poursuivi, a appliqué la décision de l'APC, en détruisant cette partie de l'extension en 1er étage. “La loi permet des modifications dans les constructions, mais il faut, en revanche, respecter les normes urbanistiques”, expliquera le P/APC. Ce propriétaire, a précisé le maire, doit refaire un plan modificateur qui reflétera la réalité de l'état des lieux de la construction. Car, soulignera-t-il, chaque lotissement est régi par un cahier des charges, qui traite plusieurs aspects dont la ZNA qui oblige à laisser une distance de deux mètres de la propriété, le pourcentage de coefficient d'emprise au sol, les terrasses accessibles ou non… “Pour l'instant, le propriétaire n'a pas encore déposé le nouveau plan modificateur”, indiquera-t-il.
Les autorités locales reconnaissent que le cahier des charges régissant les lotissements d'Hydra date des années 1940 et 1950. Les revoir serait, de ce fait, indispensable. Ce document stipule, néanmoins, que les activités susceptibles d'être nuisibles, dangereuses ou insalubres sont proscrites. Le permis de construire signale que si la construction prévoit des garages, ceux-ci ne doivent servir qu'au stationnement des véhicules.
Le premier responsable de la commune confirme qu'il y a eu des enquêtes de commodo et incommodo pour la salle de billard et le salon de thé. Pour l'ensemble de ces activités, le P/APC précise que le CNRC doit, au préalable, obtenir l'attestation administrative auprès des services concernés à l'APC avant de délivrer le registre du commerce. Or, forts d'un registre du commerce, obtenu en toute légalité du CNRC, ces commerçants exercent leurs activités en toute quiétude. “Pourtant, nous n'avons délivré aucune attestation administrative pour ces locataires”, précisera le maire. “Mieux, lors de nos différentes visites de contrôle sur les lieux, nous avons été reçus par des commerçants disposant de tous les documents légaux justifiant l'exercice de leurs activités”, avouera, ébaubi, notre interlocuteur. Cette déclaration se veut, en fait, un aveu d'échec et d'impuissance de l'APC devant ces opérateurs.
L'APC et le CNRC s'en lavent les mains
Le comportement “scapulaire” — M. Boualeg a certainement les coudées franches — daube, du coup, l'autorité des responsables locaux. Certains dirigeants, faut-il encore le souligner au passage, ont toujours l'échine souple.
Pour le problème d'embouteillage qu'ont engendré ces commerces sur la rue de Césarée, les services de l'APC ont décidé de revoir le plan de stationnement. Une étude de faisabilité est, selon le maire, en cours. Contacté pour plus d'éclairage au sujet de cette cacophonie, les services du CNRC avouent qu'ils n'interviennent que sur les pièces constitutives du dossier de demande de registre du commerce.
Celles-ci sont habituellement délivrées par les auxiliaires de la justice. “S'il y a faux et usage de faux, cela n'engage que son auteur”, a tenu à signaler une source proche de la direction générale du centre. Notre source affirme que certaines activités sont soumises à un régime particulier, nécessitant des autorisations préalables émanant des secteurs concernés et des autorités locales. L'ouverture de la pizzeria et du fast-food, expliquera la même source, ne nécessite pas d'autorisation de la part de l'APC. Car, précise-t-on, c'est une restauration rapide et non pas une installation classée. Or, les attestations administratives de l'APC concernent uniquement, souligne notre source, les établissements classés comme les usines, les ateliers…
La salle de billard, en revanche, est soumise à l'autorisation de la wilaya et non pas de l'APC. Pour le cas du 14, rue de Césarée, le contrôle et/ou l'enquête doivent être diligentés par la Direction de la concurrence et des prix (DCP) ou par les services de sécurité. Concernant le salon de thé, cette activité nécessite, de prime abord, une licence de débit de boissons qui n'est délivrée que par les services de la wilaya. Autrement dit, “le CNRC ne fait que confirmer la qualité du commerce exercé”, conclut notre source. Le propriétaire, M. Boualeg Louardi, sollicité pour donner sa version des faits, déclare avoir déposé un dossier de demande de permis de construire pour pouvoir procéder à des réaménagements de sa maison au style californien qu'il a achetée aux débuts des années 1980. “C'était une construction coloniale édifiée sur un mur porteur et dotée d'un entresol”, explique-t-il. Pour cela, poursuit-il, tous les intervenants dans ce domaine, tels que les services techniques, les représentants de la SUCH et les architectes ont été sensibilisés. “J'ai voulu construire des locaux pour mes enfants”, précisera cet ancien officier de l'armée.
Il a, selon lui, déposé les plans modificateurs et de réaménagement à l'APC et à la SUCH au début des années 1990. Il s'est appuyé sur la disposition de loi, à l'époque, qui stipulait que toute demande de permis de construire dépassant trois mois sans réponse de la part des autorités est jugée implicitement recevable. Ce qui lui a permis de mettre en œuvre son projet de transformation. “J'ai, toutefois, pris en compte l'avis des voisins, notamment celui d'en face que j'ai contacté à trois reprises”, a tenu à souligner M. Boualeg.
“Je suis dans la légalité la plus totale”
“Nous avons voulu, à travers ces activités commerciales, satisfaire les besoins des riverains et apporter du nouveau au quartier”, expliquera-t-il. Cependant, a-t-il renchéri, il y a eu le revers de la médaille ; ce désagrément causé par le problème d'embouteillage et de stationnement qui a caractérisé, depuis, la rue de Césarée. Il a même demandé, à ce propos, au gérant de la superette d'engager des personnes qui réguleront le stationnement devant le local. “Je tiens à signaler que je n'ai aucun problème avec mes voisins. Si, en revanche, des anomalies sont constatées, un manquement aux règles d'urbanisme est relevé dans ma construction, c'est aux services compétents de l'APC de procéder à sa fermeture”, n'a-t-il cessé de répéter. Mieux, il s'est déclaré ouvert à toute discussion avec les personnes qui se sont senties importunées dans cette affaire. “Je ne veux être qu'avec la loi et avec tout le monde. Car, je ne souhaiterais pas léguer à mes enfants des litiges pour lesquels ils sont innocents”, rassurera-t-il. Et de conclure : “Je n'ai rien à me reprocher et je considère que je suis dans la légalité la plus totale…”
B. K.


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