L'ordonnance est un procédé législatif conféré au président de la République par la Constitution. La plupart des textes fondamentaux des Etats, y compris les plus démocratiques, prévoient cette possibilité donnée au chef de l'Etat d'édicter la loi dans des cas d'urgence qui ne peuvent souffrir le retard que demanderait la réunion de l'instance législative du pays. C'est en s'appuyant sur cette prérogative constitutionnelle que le Président s'apprête à promulguer un nouveau texte régissant le domaine de la monnaie et du crédit. Sauf que l'ordonnance ne concerne point une question primaire, le sujet étant d'actualité depuis le jour où l'Algérie a adopté l'application des règles marchandes à son économie. L'objet n'est pas non plus frappé du sceau de l'urgence, puisqu'en matière de politiques économique et monétaire, le terme ne tient point au nombre de semaines, ni même de mois. Bouteflika a déjà eu à préparer, dans la discrétion du palais d'El-Mouradia, des ordonnances dans l'intention d'exécuter le coup de force dans l'intersession parlementaire. Le projet d'ordonnance sur la gestion des capitaux marchands de l'Etat avait constitué, aux yeux de son premier Chef de gouvernement, l'ultime confirmation de la volonté de Bouteflika d'imposer ses vues personnelles à notre économie. Cette conviction sur l'inclination du Président pour une conception autocratique de l'organisation du marché financier a poussé Benbitour à la démission de son poste de chef de l'Exécutif. Il y a de fortes chances que ce soit son désaccord au sujet du projet de loi sur les hydrocarbures qui a amené le Président à se séparer de son second Premier ministre, Benflis. Voilà que Bouteflika récidive avec un nouveau projet d'ordonnance sur la monnaie et le crédit. D'une première lecture, il se dégage l'intention manifeste de faire passer, par un texte qui ne concerne pas expressément le pétrole et le gaz, ce qu'il n'a pu imposer par un projet de loi sur les hydrocarbures mort-né. Tout se passe comme s'il y avait une mission de contenter les exigences américaines relatives à l'exploitation du sous-sol national. On se souvient de la nécessité d'une réforme du statut des hydrocarbures rappelée à Alger même par un sous-secrétaire US. Cette concession fait peut-être partie de sa campagne pour un second mandat. Je ne sais dans quelle mesure la superpuissance peut influer sur le choix présidentiel. Mais si l'on ajoute, à cet effort désespéré pour satisfaire les attentes de ce grand partenaire, la participation inattendue au sauvetage d'Alstom par la commande d'une centrale électrique par Sonelgaz, il faut croire que les amis français et américains constituent aussi des cibles précieuses de la campagne électorale. Le gouvernement Chirac tient par-dessus tout à éviter la faillite de cette importante firme qui construit le TGV et emploie, surtout, des dizaines de milliers de travailleurs. Ce sont donc probablement les intentions les plus inavouables qui fondent chez notre Président l'usage de cette prérogative démocratique. Prévue à l'origine pour satisfaire un impératif législatif inédit et pressant, la voici détournée pour la censure des élus et même du gouvernement. Il faut être conscient de l'inadéquation de ses projets avec l'intérêt national pour anticiper une désapprobation d'instances qui, pourtant, ne sont pas connues pour leur vocation à s'opposer à la volonté du prince. Ce qui était une utile prérogative en devient un pernicieux stratagème. M. H.