S'il est une personnalité politique dont il est rarement question en Algérie, c'est bien l'émir Khaled. Et c'est loin d'être fortuit, convient-il de souligner. Parler de cet homme qui aura marqué sensiblement la vie politique en Algérie, c'est à l'évidence mettre en relief le rôle moteur joué par la citadinité dans la prise de conscience nationale et l'érection du mouvement de libération. Pourtant, rien ne laissait présager une évolution qualitative de la pensée politique du petit-fils de l'émir Abdelkader, personnage exceptionnel à bien des égards. A fortiori, lorsque ses convictions correspondaient parfaitement, dès le départ, à la ligne générale d'un mouvement politique, les jeunes Algériens, qui tentait de faire admettre, à l'opinion musulmane hostile, le service militaire obligatoire (imposé en 1912). S'il est vrai, compte tenu de la réalité concrète de l'époque, que l'argumentaire de l'émir ne contenait aucune revendication à caractère nationaliste, il va sans dire que certains thèmes qui y sont développés seront largement repris par le mouvement national en formation. L'action politique de l'émir Khaled prouve qu'elle a été, quelque part, à la base des premiers balbutiements de l'expression politique du nationalisme algérien. Elle s'est manifestée tout d'abord sur le front culturel où il se distingua singulièrement par la création de nombreuses associations culturelles et sportives dont les objectifs, à savoir l'éducation sportive, la formation morale, la défense des intérêts des musulmans, le fait de regrouper uniquement les “indigènes”, leur donnaient un caractère politique qui n'échappa pas à l'administration coloniale. Parmi ces associations, il est aisé de citer la Jeunesse musulmane d'éducation sociale, la Fraternité algérienne, le Croissant algérien, l'Avant-Garde et le doyen des clubs algériens, le Mouloudia Club Algérois, qui joua un rôle de premier ordre dans le domaine du raffermissement du sentiment national grâce à la création de nombreux clubs sportifs musulmans et de sociétés musicales. C'est encore l'émir Khaled qui insistera sur le rôle éminemment positif de l'expression théâtrale dans le domaine de l'éveil des connaissances et du goût de la lutte dans le cadre de la troupe El Hillal El Djazaïri. Il revendiquera aussi l'enseignement de l'arabe et la promotion d'actions allant dans le sens de la construction d'une grande école libre arabe. Elu municipal, il eut le mérite de confier la direction du premier conservatoire de musique arabe à un Algérien de confession israélite, Edmond Nathan Yafil, moment que choisira l'Association générale des étudiants d'Alger pour exclure de son bureau les musulmans et les israélites, engendrant, par la même occasion, la création de l'Amicale des étudiants musulmans de l'Afrique du Nord. Afin que nul n'oublie, c'est en mars 1920 que l'émir Khaled créa le journal l'Ikdam pour clamer ses convictions et l'idée de l'égalité des droits politiques entre Algériens et Français. Il prononça, devant le Président français Millerand lors de sa visite en Algérie, un discours dans lequel il réitéra les revendications algériennes. Des revendications, relayées par une lettre qu'il adressa au Président américain Wilson dans laquelle il exposait les revendications des Algériens. Jugées gênantes par les autorités coloniales, ces dernières décidèrent de décréter, en juillet 1920, l'exil du militant hors d'Algérie. Il se rendit en Egypte où il reçut un accueil chaleureux avant de s'établir à Damas, jusqu'à sa mort, le 9 janvier 1936. Toutefois, l'exil de l'émir Khaled ne mit pas fin à son activité politique puisqu'il participa au congrès de Paris sur la défense des droits de l'homme, transposant ainsi le combat en France même. Ce n'est donc pas sans raisons si l'Etoile nord-africaine fit de lui, à l'occasion de son congrès constitutif de 1926, son premier président d'honneur. A. M.