L'Afrique du Sud est-elle vraiment un partenaire privilégié de l'Algérie ? Une simple offre de service d'un consortium sud-africain, en vue de l'accueil des supporters algériens lors de la prochaine Coupe du monde, prend les allures d'une “affaire d'état”. Ni la propre fille de Nelson Mandela, ni la fondation portant le nom du tombeur de l'apartheid, ni encore les intérêts stratégiques du pays, n'ont pesé lourd. Retour sur cette “affaire” aux relents de scandale. Synopsis d'un “avortement” Tout commence en décembre dernier. Abdelwahid Bouabdellah, P-DG d'Air Algérie, sollicite la direction de Mago Resources. Dans sa lettre, il demande, “en première phase”, aux Sud-Africains de lui envoyer une offre de service pour l'accueil des supporters algériens. Il y indique que ça devait concerner “uniquement” la restauration, l'hébergement et le transport terrestre de supporters dont le nombre devrait être (précision du P-DG sur le document) entre 1 000 et 2 000 personnes. Ayant pris acte, Matiki Chikala, président du consortium sud-africain, commence ses démarches avec plusieurs partenaires. D'emblée, la fondation Mandela, une organisation dont l'“aura” internationale est indiscutable, décide de chapeauter l'initiative. Le patron sud-africain effectue trois voyages sur Alger pour peaufiner les détails avec les Algériens. Il rencontre, entre autres, le P-DG et le directeur commercial d'Air Algérie. Rassuré par ses interlocuteurs, il accentue les consultations avec les entreprises privées de son pays mais également avec les administrations locales. Des prix préférentiels ont pu être obtenus avec à la clé le maximum de précautions pour la sécurité pour les fans. Les négociations ont abouti à ce que la prise en charge doit toucher pas moins de 2 000 supporters et 100 VIP. Un travail minutieux devait être préparé pour faciliter le “marathon” que devront effectuer les Algériens. Il s'agissait tout de même d'organiser le transport, l'hébergement et la restauration de plus de 2 000 personnes pendant plus de 10 jours. Le parcours de l'équipe algérienne, avec les trois matches de poule, est loin d'être “statique”. Le 13 juin, l'Algérie disputera son premier match contre la Slovénie à Polokwane, ville située dans le nord de l'Afrique du Sud. Cinq jours après, l'EN jouera contre l'Angleterre au Cap, ville située dans l'extrême sud et distante de 1 736 kilomètres de Polokwane. La dernière rencontre des Verts aura lieu le 23 juin à Pretoria et ainsi les supporters, à l'instar de la troupe à Saâdane, devront faire 1 600 km pour y assister. Les autorités du pays de Mandela ont été mises à contribution. Les responsables de Mago Resources ont ainsi approché le gouvernement de la province de Limpopo (située à l'extrême nord-est du pays). Ce dernier a donné son accord (Liberté s'est procuré une copie du document l'attestant) dès le 9 février dernier et lancé les préparatifs. Le président de l'entreprise sud-africaine a pu, ensuite, obtenir des prix préférentiels pour le transport et l'hébergement ainsi que la restauration. Des trains-hôtels ont ainsi été aménagés. En contrepartie de ces facilités, Mago Resources aurait, selon nos sources, déjà versé, à l'avance, aux compagnies de chemins de fer, les prix des billets de train pour 2 000 supporters et 100 VIP. Les réservations d'hôtels et le prix du transport charter (vers les stades) auraient également été payés. Trois formules, pour l'hébergement, la restauration et le transport ont ainsi été présentées par les Sud-Africains. Le devis de la première, pour un séjour de 15 jours, a été estimé à près de 4 millions de dollars US (exactement : 3 914 506,46). Celui de la seconde, pour 14 jours, a été évalué à 4 015 805,16 dollars US, alors que la troisième (14 jours) était de 2 159 506,46 dollars US. Les détails avaient été envoyés dès janvier dernier et au fil des mails ils étaient peaufinés avec l'Onat et Touring Club, les deux organismes “désignés” pour prendre en charge les supporters en terre sud-africaine. “Could you please save my face ?” En outre, Liberté a pu obtenir la correspondance (courrier électronique) entre les responsables d'Air Algérie, de l'Onat de Touring Club, d'un côté, et Makiti Chikala de l'autre. Elle a débuté en décembre. Si au début, les contacts étaient réguliers, la partie algérienne (Onat et Touring Club) est devenue subitement “muette” vers la fin du mois de février. Le dernier mail reçu par Chikala, et qui émanait d'un responsable de Touring Club, remonte au 21 février. Le président de l'entreprise sud-africaine envoie pourtant plusieurs mails pour demander des éclaircissements. Il tombera des nues lorsqu'il eut vent de l'annonce officielle par l'Onat et Touring Club du lancement de trois formules de packages presque identiques à celles de Mago Resources mais dont les Sud-Africains sont écartés ! Le 18 mars 2010, Makiti Chikala écrit un mail “groupé”, destiné à trois personnes, le P-DG d'Air Algérie, le directeur commercial de la même compagnie ainsi qu'à un responsable de l'Onat. L'introduction en dit long sur l'état d'esprit de l'expéditeur : “Could you please save my face ?” (approximativement : pourriez-vous, svp, sauver ma tête ?). Il réclama une réponse officielle aux trois destinataires en expliquant que c'était pour mettre les dernières retouches avec les partenaires qu'il avait contactés en Afrique du Sud. Malgré cette énième tentative, il n'a eu aucun écho. Un silence qui est venu confirmer les doutes qu'avaient les responsables du holding plusieurs jours auparavant. Des intermédiaires français avaient en effet approché plusieurs entreprises et administrations sud-africaines en vue de préparer la venue de 2 000 supporters… algériens. Ils s'étaient présentés en tant que sous-traitants de l'Onat et de Touring Club. Pour Mago Resources, le constat s'est imposé de lui-même. Le consortium a été lâché par les Algériens qui ont décidé, pour des raisons obscures, de “voir ailleurs”. Les uns mécontents, d'autres injoignables Les Sud-Africains et évidement les supporters algériens ne sont pas les seules victimes de ce revirement. Il y a également la communauté algérienne établie au pays de Mandela qui s'était mobilisée pour la Coupe du monde qui se déroulera du 11 juin au 11 juillet 2010. Des dizaines parmi eux, la plupart universitaires, avaient été approchés, dès décembre dernier, par Mago Resources. Il leur a été proposé de travailler, en vue du Mondial, en tant que guides des supporters algériens qui se déplaceront en Afrique du Sud. Ils se retrouvent ainsi sur le carreau à l'instar du consortium et des autres ex-futurs partenaires sud-africains. Malgré de nombreuses tentatives de joindre les directions d'Air Algérie, de l'Onat et ainsi que celle de Touring Club, Liberté n'a pu entendre la version d'un quelconque responsable de ces organismes. Si le P-DG de la compagnie nationale, ainsi que les responsables de Touring Club, étaient soit “absents” soit “en réunion”, celui de l'Onat se trouvait par contre en France. Toutefois ses collaborateurs sont restés injoignables. La ligne directe compromise Pourquoi Air Algérie a-t-elle pris contact avec Mago Resources précisément ? Une question qui s'imposait depuis le début. Il s'avère que la compagnie nationale était déjà en contacts avec cette entreprise sud-africaine, au moins, dès janvier 2009. Dans un document (daté du 31 janvier 2009), signé Abdelwahid Bouabdellah, et transmis à Matiki Chikala, le premier nommé affichait les ambitions de son entreprise pour la création d'une ligne directe entre les deux pays. Pour cela, Bouabdellah avait évoqué la création d'une joint-venture entre Air Algérie, Mago Resources et les autorités de la province de Limpopo. Avec cette histoire d'accueil des supporters, ce projet ne peut qu'être compromis. D'autant plus que les Sud-Africains ne sont pas à leur première mésaventure avec des responsables algériens. Profondeur stratégique, dites-vous ? Cette histoire d'accueil des supporters algériens survient presque deux ans après un autre “incident” très mal perçu par les autorités du pays des Bafana Bafana. En mai 2008, une délégation sud-africaine, emmenée par la propre fille de Nelson Mandela, Makaziwe Mandela, et le président de Mago Resources Holding, Makiti Chikala, s'était déplacée à Alger en vue de négocier des contrats avec Sonatrach dans le domaine de l'uranium. Il faut préciser que le holding multiservice est également versé dans l'identification des minerais et sédiments en sous-sol. L'Algérie, avec ses réserves prouvées en uranium avoisinant les 29 000 tonnes, était perçu comme un excellent partenaire. Toutefois, et à la grande surprise des “invités”, rien n'a été conclu. Mieux encore, les représentants sud-africains ont été snobés par des dirigeants de Sonatrach dont l'un d'eux leur aurait ouvertement affirmé que l'Algérie n'était pas intéressée par des partenaires sud-africains. Une réaction qui avait choqué au pays de Mandela et que les autorités de ce pays avaient très mal perçue, sachant surtout que la chasse à l'uranium dans la région est complètement phagocytée par les entreprises françaises. Des faits qui viennent contredire toutes les paroles dites et redites dans les rencontres diplomatiques. L'axe Alger-Johannesburg semble être plus une illusion qu'une réalité. Cette réalité crue remet en cause ce qu'il convient d'appeler “les intérêts suprêmes de l'état”. Quelles que soient les raisons d'un refus de coopération avec les Sud-Africains, l'inélégance affichée est contradictoire avec la notion d'intérêt stratégique, politique ou diplomatique avec un pays ami. Que ce soit sur la question du Sahara occidental, sur le Nepad, ou encore lors des discussions du G20, l'Afrique du Sud a été à chaque fois le plus proche partenaire de l'Algérie. Une proximité symbolisée par les excellentes relations entre l'ancien président sud-africain, Thabo Mbeki et le président Bouteflika. Une association brandie par les plus hautes autorités des deux pays à chaque occasion. Il existe même, et depuis l'an 2000, une commission conjointe algéro-sud-africaine, présidée par les deux présidents, dont le rôle devait être la consolidation de la coopération bilatérale. Au bout, s'il y a eu consolidation, elle ne dépasse pas les intérêts mineurs sans aucune vision et loin de toute profondeur stratégique. D'où l'interrogation : quelle politique veut vraiment avoir l'Algérie ? En a-t-elle réellement à l'égard de ce géant africain ? L'Afrique du Sud n'est pas uniquement le pays de Nelson Mandela, ou encore de Myriam Makeba, mais c'est aussi, et surtout, la première puissance économique du continent africain. L'oublier, le négliger, c'est s'auto-éliminer de tout espoir d'avoir une place dans le concert des nations.