Après avoir félicité Khartoum pour la tenue de ses premières élections pluralistes, les observateurs, institutionnels et privés, se rebiffent. Celles-ci n'auraient pas répondu aux normes internationales, ont déclaré, samedi, les observateurs de l'Union européenne et de la Fondation de l'ancien président américain Jimmy Carter ! Est-ce la victoire annoncée du président soudanais Omar el-Béchir, en passe de remporter le scrutin, avec entre 88% et 94% des suffrages, selon un décompte provisoire de la commission électorale nationale, qui les a fait sortir de leurs gonds ? Si c'est le cas, l'UE et la Fondation de l'ex-président américain auraient fait preuve de grande naïveté. Les opposants susceptibles de tailler des croupières au maître de Khartoum avaient annoncé le boycott de la parodie électorale bien avant leur chèque en blanc. Et puis, Omar el-Béchir n'avait jamais caché sa détermination à rester à la tête du Soudan, ne serait-ce que pour échapper à la Cour pénale internationale qui a lancé contre lui un mandat d'inculpation pour génocide et crimes contre l'humanité. Autocrate comme la grande majorité de ses pairs du monde arabe et africain, El-Béchir avait toutes les clefs des élections, et cela était porté à la connaissance de tous, y compris de Véronique de Keyser, chef de la mission d'observation de l'UE, et de Jimmy Carter. Lesquels aujourd'hui déclarent tout bonnement que le scrutin de cinq jours, qui s'est achevé jeudi, a été entaché d'irrégularités : registres de vote incomplets, ressources financières inégalement réparties entre les candidats, intimidation des électeurs. Mais la scrutatrice de l'UE ne veut pas couper les liens avec Khartoum en estimant in fine que bien que ces élections aient ouvert la voie à un progrès démocratique, il est essentiel “de remédier aux manquements”. Les Européens ne veulent pas être exclus dans la recherche de solutions à la crise du Darfour, comme ils caressent l'espoir de se placer dans l'exploitation du pétrole au Soudan. L'ancien président Jimmy Carter, dont la fondation a mené une mission d'observation parallèle, est parvenu aux mêmes conclusions, constatant que ces élections qu'il avait louées avant leur déroulement ne seront pas aux normes internationales des démocraties avancées. Les attentes de la population n'ont pas été satisfaites, a-t-il dit au cours d'un point de presse à Khartoum. Il a également fait état de cas d'intimidation visant “électeurs, candidats, personnel électoral, agents des partis et observateurs”. Les observateurs de l'UE et ceux de M. Carter n'ont cependant pas appelé à un nouveau scrutin. Par contre, ce qui a dû inquiéter Omar el-Béchir, c'est plutôt la position frontale de l'islamiste Hassan al-Tourabi, un des responsables de l'opposition soudanaise, qui a annoncé que son parti ne reconnaissait pas les résultats des élections multipartites de la semaine dernière et entamait une procédure de contestation en justice, évoquant des allégations de fraude. Le Parti du congrès populaire islamique (PCP) était l'un des rares partis de premier plan de l'opposition à avoir participé au scrutin. La plupart l'avait boycotté, totalement ou partiellement. Hassan al-Tourabi fut l'éminence grise du régime militaro-islamique de Khartoum pendant des années, ayant aidé le président Omar el-Béchir à arriver au pouvoir et à s'y maintenir. Les deux hommes sont depuis devenus les pires ennemis, et Tourabi, devenu un des principaux opposants, a effectué plusieurs séjours en prison, dont l'année dernière pour avoir exhorté El-Béchir à se livrer à la justice internationale, quand il a été inculpé pour crimes de guerre au Darfour. Quelque 16 millions d'électeurs étaient appelés aux urnes pour des élections générales, appelés à départager 14 000 candidats, tous scrutins confondus, de l'élection présidentielle aux locales et régionales en passant par les législatives. Ces élections étaient un élément central des accords de paix de 2005, qui ont mis fin à 21 ans de guerre civile entre le régime de Khartoum et la rébellion sudiste, à dominante chrétienne et animiste, dirigée par la Spla de John Garang. Ce qui fut le plus long conflit d'Afrique a fait deux millions de morts.