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Ce que cache cette utopie !
SOCIALISME ET ETATISME
Publié dans Liberté le 10 - 05 - 2010

Boualem Aliouat est professeur des universités à l'Université de Nice Sophia-Antipolis et directeur de recherche au CNRS (France). Il est aussi professeur à la SKEMA Business School de Nice-Lille et directeur académique et scientifique du MDI Business School Alger.
Vers un capitalisme entrepreunarial soutenu par l'Etat
ous avons vu que l'idée d'un retour d'un socialisme algérien associé à un étatisme croissant n'était en fait qu'un capitalisme d'Etat à l'aune du paternalisme. L'Etat algérien puise fondamentalement son action dans l'exploitation des ressources naturelles et réinjecte dans l'économie et le social une partie de ces ressources.
Depuis quelques années, le pays a connu une croissance réelle de son produit intérieur brut due à des facteurs externes et un programme de stabilisation économique et d'ajustement structurel, ce qui lui permet d'avoir les moyens d'un paternalisme mesuré. Cependant, cette situation n'est pas pérenne à long terme. L'Algérie est contrainte de s'adapter continuellement, comme de nombreux pays exportateurs de pétrole, à l'évolution des marchés mondiaux si elle entend poursuivre ses exportations dans des conditions compétitives, et à mesure surtout qu'augmente l'efficience de son économie locale (emploi, infrastructures, biens de consommation, etc.).
Au demeurant, l'économie algérienne est encore fondée sur la rente où les mécanismes de captation de richesses ont pris le pas sur la culture entrepreneuriale davantage orientée vers la création de valeur. L'Algérie est une économie anciennement planifiée qui a tenté de passer à une forme d'organisation sociale, politique et économique plus achevée où domine l'économie de marché de type capitaliste ou managérial. Pour ce faire, l'Etat a dû se résoudre à concéder une partie de son intervention dans la production de biens et services par des privatisations généralisées et significatives et des actions effectives de régulation des marchés. Par ailleurs, cette transition se caractérise par la croissance d'un entrepreneuriat privé, source d'émergence d'activités nouvelles dépendant précisément du capital privé. L'économie algérienne en transition est cependant prise en tenailles entre un manque de repères solides pour rejoindre le monde économique et social au plan international, et des ancrages identitaires multiples (historiques, culturels, économiques, juridiques…) qui réclament des formes d'harmonisation juridique, économique et politique spécifiques.
En matière d'attente des entrepreneurs algériens, on ne peut soutenir que ce que l'on est capable de mesurer. C'est la raison pour laquelle, dans le cadre de la coordination scientifique du 9e symposium international MDI qui portera sur les pratiques entrepreneuriales, j'ai pris la mesure de l'entrepreneuriat algérien dont je livrerai en exclusivité tous les résultats lors de ce symposium (30-31 mai 2010). Une toute première étude portant sur le profil d'un grand nombre d'entrepreneurs algériens membres du FCE a été réalisée à cette fin. À l'issue d'une première analyse, il me semble important d'enrichir le débat autour du thème de l'étatisme en Algérie par quelques résultats tout à fait surprenants que je livre ici en partie. Nous nous posons ainsi quatre questions :
1- les entrepreneurs algériens considèrent-ils l'implication des organes de l'Etat comme un environnement favorable à leurs activités ?
2- les entrepreneurs algériens considèrent-ils l'intervention des organes de l'Etat comme un environnement défavorable à leurs activités ?
3- l'Etat est-il perçu comme un entrepreneur institutionnel, un soutien financier à l'entrepreneuriat ?
4- qu'est-ce qui motive un entrepreneur algérien aujourd'hui ?
(1) Les Opportunités : Tout d'abord, nous observons, dans la figure 1, que les entrepreneurs algériens interrogés ne perçoivent absolument pas l'Etat comme un élément pourvoyeur d'opportunités, qu'il s'agisse de l'environnement financier, de l'environnement juridique, du soutien étatique ou de la facilitation des accès et des protections de marché. La seule opportunité que semblent relever les entrepreneurs concerne les perspectives de croissance des marchés algériens dans leur ensemble.
Autrement dit, nos entrepreneurs sont en Algérie dans une situation comparable aux années 20 aux USA ou dans la période d'après-guerre en Europe. La croissance du marché est le seul baromètre d'incitation à entreprendre. Le problème, c'est que nous ne sommes plus dans des contextes internationaux comparables aux périodes de défrichement des années 1920 aux USA ou en 1950 en Europe. L'Algérie est plongée dans une économie mondiale où la compétition est globale et acerbe. L'innovation par l'investissement des entrepreneurs est à la fois une source de progrès en interne et une source de compétition à l'international. La facilitation d'ouverture vers des marchés extérieurs pour les entrepreneurs algériens est un gage de développement qui doit être accompagné par un Etat incitateur et régulateur (notamment la facilitation des coopérations industrielles et commerciales, les transferts de capitaux, les crédits documentaires ou les lettres de crédit...). Nos voisins marocains et tunisiens développent activement des politiques incitatives en ce sens, notamment en matière de nouvelle économie, l'économie de la connaissance, et les TIC en particulier.
Mais l'Algérie a d'autres ressources à mettre en œuvre. Le développement des économies se base de plus en plus sur des logiques de réseaux, voire de réseaux d'innovation, et nous avons vu naître ces dernières années, et un peu partout à travers le monde, des effets de grappe industrielle concentrant des innovations majeures et transformatrices. Ces effets permettent de lutter notamment contre le nomadisme industriel qui fragilise les équilibres économiques et sociaux. Ces choix sont souvent le fait d'entrepreneurs innovants sur des territoires appropriés et d'initiatives d'Etats soucieux de consolider leur compétitivité en matière d'innovation et leurs capacités stratégiques à long terme. Les initiatives du Cyberparc d'Alger, malgré des démarrages difficiles, la grappe industrielle du groupe Benamor avec son réseau de 450 agriculteurs de Guelma, Skikda et Annaba dans la tomate et les céréales, le conglomérat Cevital… vont dans le bon sens et doivent être encouragés. Comme c'est le cas en Algérie, les logiques de réseaux sont nées d'abord sous forme d'industries manufacturières localisées ou de districts concentrant une activité donnée, souvent autour d'un groupe familial (Marshall, 1890 ; Becattini, 1992). Toute la question est de savoir si l'on peut en Algérie favoriser et inciter ces échanges relationnels dans un territoire donné, et par conséquent favoriser des pratiques de co-innovation en réseau impulsées par des acteurs institutionnels émanant de l'Etat et des régions. Une politique industrielle publique volontariste et des engagements stratégiques d'entreprises dans le sens de l'innovation peuvent considérablement changer la donne économique en Algérie.
Que l'Algérie (et donc ses acteurs locaux) puisse concrètement aboutir à un horizon de quelques années, à concevoir et développer des produits et services technologiquement innovants et économiquement viables est une perspective à soutenir.
Les effets de grappe (proches des districts industriels ou des parcs d'activité) sont de nature très diverse qu'il s'agisse d'entreprises informatiques en Irlande, d'entreprises de haute technologie à Bangalore (Inde), Soho (Londres) pour l'industrie de production, Paris pour l'industrie de la mode, Detroit ou Turin pour l'automobile, Milan pour le textile et le cuir, Hollywood pour l'industrie du cinéma, ou même Las Vegas pour les jeux de hasard. La Silicon Valley y a ajouté des effets cluster nouveaux : les espérances de gains et de financement plus élevées, une plus forte demande, des taxes favorables, une concurrence stimulante et une configuration politique incitative.
Le soutien des pouvoirs publics à ces collaborations par la distribution d'un certain nombre d'aides financières peut contribuer au fonctionnement de ces pôles et au financement de certains des projets communs. Différents ministères sont concernés (Finance, Energie, Industrie, Equipement, PME, Télécom, Agriculture,...) et ont intérêt à mutualiser leurs crédits d'intervention dans des Fonds de compétitivité des entreprises. Des agences nationales (de recherche, d'innovation industrielle, d'aide à l'entrepreneuriat,…) doivent également participer à l'accompagnement de ces projets : aide à la recherche fondamentale ; aide aux projets de grande envergure ; aide aux PME et appui par la prise de participations dans des entreprises impliquées dans des clusters. L'attractivité des entreprises et des projets est aussi due à la présence de firmes de référence qui jouent le rôle de relais dans l'écosystème d'affaires. Ce sont des firmes qui génèrent ce que les économistes nomment des externalités positives. L'Etat algérien, dans son rôle de régulateur, pourrait attirer de grandes entreprises mondiales reconnues et favoriser les entrepreneurs algériens qui envisagent de bâtir des empires industriels qui seront les firmes de référence de demain. D'ailleurs, l'une des premières initiatives algériennes, le Cyberparc d'Alger, créé par décret n°04-275 du 5 septembre 2004, est conçu comme une grappe technologique s'insérant dans un périmètre urbanisable (le pôle urbain de Sidi-Abdallah sous l'autorité du ministère de l'Aménagement du territoire et de l'Environnement et du Tourisme) où une surface est affectée au parc technologique (sous l'autorité du ministère de la Poste et des Technologies de l'information et de la communication).
Il est conçu au profit d'opérateurs nationaux et étrangers opérant dans le domaine des TIC. Le site entend comme n'importe quel cluster attirer des entreprises et des projets par des relais efficaces et attractifs. Une firme de dimension internationale dans le domaine des TIC y est particulièrement recherchée, notamment pour stimuler l'ensemble des membres du parc. C'est précisément là que l'Etat joue un rôle de stimulation et d'effervescence économique. Et ce qui est vrai des logiques de territoires industriels vaut pour l'ensemble de l'économie algérienne.
Par ailleurs, de nombreux cas de clusters sont à benchmarker en Algérie, pays dont les ressources et les configurations multiples appellent certainement des expériences elles-mêmes différenciées : le Dhahran Techno-Valley dans le domaine des énergies ; le Dubaï Silicon Oasis dans le domaine de l'innovation électronique où les efforts urbains sont particulièrement attractifs de par la qualité de vie qui est offerte aux porteurs de compétences dans ce domaine technologique, autant nationaux qu'internationaux ; c'est aussi le cas des 400 entreprises de haute technologie, principalement impliquées dans le semi-conducteur, l'informatique, les télécommunications, l'optoélectronique établies dans le Hsinchu Science Park à Taïwan depuis décembre 2003 (il est aujourd'hui un des domaines les plus importants au monde pour la fabrication de semi-conducteurs après avoir attiré parmi les meilleures fonderies de silicone au monde : Taiwan Semiconductor Manufacturing Company et United Microelectronics Corporation) ; on citera aussi le Technoparc de Casablanca qui concentre une grappe importante d'entreprises autour des technologies de l'information, en particulier dans le génie logiciel et les TIC d'entreprises. Ce projet a la particularité d'être un joint-venture entre des acteurs publics et des acteurs privés et donne à penser que les partenariats publics-privés pourraient être des formules efficaces de gouvernance des parcs industriels en Algérie.
À Casablanca, le Technoparc est pris en charge par le gouvernement du Maroc — à hauteur de 35% du capital et par un Consortium de banques privées qui comprend la Caisse de dépôt et de gestion, la BMCE Bank, la Banque centrale populaire, la Banque commerciale du Maroc et l'AttijariWafa Bank pour les 65% restants. Nous pourrions aussi citer Bahreïn qui est devenue incontournable pour la finance islamique, avec ses 27 banques islamiques concentrées en cluster et représentant, en janvier 2010, 25,8 milliards $ d'actifs. Cette valeur a été multipliée par 13 de 2000 à 2010. Elle représente déjà 11% des actifs de l'ensemble des banques situées dans ce royaume. Et l'expansion de ce cluster semble prometteur face aux 1 500 milliards $ de richesse privée à capter dans le Golfe.
À travers ce cluster, Bahreïn s'inscrit comme le gardien consciencieux de la bonne gouvernance de la finance islamique dans le monde. Toutes les banques du monde s'y intéressent à présent, les banques britanniques en tête. Même BNP Paribas, implantée à Bahreïn depuis 2003, y a reçu en 2005 le prix Euromoney de Best Islamic Finance House. On pourrait également citer à Rotterdam, le principal port européen en conteneurs ou le cas du Finnish Maritime Cluster en Finlande. Ce sont des grappes d'activités considérables. Le Finnish Maritime Cluster est une grappe d'entreprises dans les industries maritimes qui cumule un chiffre d'affaires total estimé à plus 11 milliards d'euros avec 47 000 personnes employées dans la construction navale et les industries connexes. À l'heure où nos chefs d'entreprise algériens réclament des moyens maritimes qui permettraient d'économiser des coûts externalisés prohibitifs, ce type de cluster est une initiative d'Etat à privilégier.
(2) Les Obstacles : Les entrepreneurs algériens que nous avons interrogés attribuent l'essentiel de leurs obstacles à entreprendre aux mécanismes dévolus aux organes de l'Etat (cf. figure 2), sans pour autant considérer l'étatisme comme une obstruction majeure (seuls 34,4% des entrepreneurs l'évoquent). Il semble que le principe d'Etat fort n'est pas a priori suspecté d'obstruer les activités des entrepreneurs. Ce sont surtout les actions de l'Etat qui relèvent d'une perception discutable (la nuance est mince mais d'importance). En fait, les entrepreneurs considèrent que les contraintes politiques, juridiques et fiscales auxquelles s'associent un système bancaire et des infrastructures déficients sont les principaux obstacles rencontrés.
Cette analyse des entrepreneurs rejoint d'ailleurs celles des rankings agrégés de la Banque mondiale (Doing Business 2010 Algeria dont nous apportons de larges commentaires dans la revue Strategica d'avril 2010). Ces rankings laissent entrevoir que des efforts ont été réalisés, mais observent encore peu de résultats significatifs pour la compétitivité comparée de l'Algérie. Le pays est encore 136e dans le peloton de queue des nations pour la facilité à monter des affaires, et 148e dans l'amorçage de start-up ou d'affaires nouvelles. Certes, les ingrédients étatiques d'une compétitivité économique (droits de propriété, sécurisation des contrats, taxations, flexibilité législative, rapidité et agilité des procédures, protection des investisseurs et des parties prenantes, emplois,…) sont en voie d'amélioration, mais l'innovation ne semble pas être au cœur d'une économie qui reste encore fondée sur la captation de rentes et non sur la création de richesses nouvelles. Les entrepreneurs et les porteurs de projets innovants ont à surmonter des contraintes d'environnement qui engendrent des coûts prohibitifs (importation de ressources matérielles transformées, importation de compétences et d'expertises, rigidité des procédures d'acquisition de ressources diverses…).
Les indicateurs de coûts, de temps, de procédures et de dépôts de capital minimum nous permettent de conclure qu'en Algérie les procédures (CNRC, dépôt de capital, BOAL, banques, documents administratifs d'état civil, IRG, IBS, VAT, Cnas, Casnos, Cnac, permis de construire, procédures d'emploi, douanes, impôts, Andi,…) sont denses, rigides et longues, même si elles sont moins coûteuses dans leur ensemble comparées à celles des pays nord-africains et moyen-orientaux.
L'Etat algérien est également 73e des pays protecteurs des investisseurs, 123e des états de garantie contractuelle et de force exécutoire des contrats, 122e des pays facilitateurs des activités transfrontalières et 168e des états de taxation. L'avantage compétitif lié aux ressources juridiques repose, soit sur des ressources offertes par l'environnement (ses structures ou systèmes juridiques), soit sur les ressources propres de l'entreprise (ses actions, ses contrats, son ingénierie). Dans les deux cas, le contexte algérien ne permet pas aux entreprises algériennes de bénéficier d'une redistribution équitable de ressources juridiques par rapport à leurs homologues étrangères. Or, la sphère juridique comprenant l'environnement général (lois, règlements, jurisprudence), l'environnement industriel ou sectoriel (normes professionnelles, codes de bonne conduite) et l'environnement concurrentiel (droits de propriété, contrats, détenus par les firmes concurrentes) est soit une source de contraintes, soit un facteur d'opportunités qui se traduisent essentiellement par des incitations à entreprendre. Dans un monde globalisé, si ces droits ne sont pas identiques, la distribution de ces ressources n'est pas uniforme. Ainsi, l'hétérogénéité des droits crée naturellement des situations de désavantages concurrentiels structurels pour les entreprises algériennes. L'équité, rappelons-le, justifie ici des efforts d'harmonisation par un Etat régulateur et incitatif. La capacité des entreprises à exercer une influence sur leur environnement politique et, par là même, sur la formation et l'évolution de la norme réglementaire, peut alors être décisive comme le rappellent les économistes Hillman & Hitt dans leur analyse de la conduite de l'action politique.
Les principes d'harmonisation du droit que tous les Etats industrialisés respectent aujourd'hui, consistent en une standardisation des textes de droit dans une unité légale ou réglementaire au plan international, y compris dans l'interprétation des principes fondamentaux de ce droit commun, propres à recevoir une application claire et homogène. Autrement dit, on doit limiter, autant que faire se peut, les marges de manœuvre ou le manque de précision laissant toute discrétion aux Etats ou aux acteurs publics.
Les principes qui président à l'harmonisation juridique sont communément l'égalité (de traitement), la prévisibilité (des conséquences de ses actes) et l'évitement des conflits de lois, ainsi que la promotion de valeurs communes (acceptées par tous) au plan international. L'idée générale de cette harmonisation est, pour une large part, de calquer les dimensions légales d'un système sur ses dimensions socioéconomiques : une unité légale pour une unité économique. Or, l'unité économique d'aujourd'hui est celle d'un monde globalisé. Par principe, l'harmonisation juridique, partout à travers le monde, apparaît comme la réduction des écarts structurels des environnements juridiques hétérogènes. Les entreprises algériennes ne sauraient souffrir davantage de contraintes juridiques et fiscales qui les rendent moins compétitives de facto et structurellement par rapport à leurs concurrentes étrangères.
L'inégalité ne serait légitime que lorsqu'elle profite aux acteurs les plus défavorisés. Autrement dit, si le droit algérien doit être différent par certains aspects, se doit d'abord être en faveur des entrepreneurs algériens exposés à la scène économique internationale.
Ces rankings nous indiquent que l'Algérie ne constitue pas encore un substrat favorable à l'émergence d'un entrepreneuriat dynamique et innovant qui permettrait au pays de substituer au modèle de captation de la rente fondée essentiellement sur l'exploitation des énergies fossiles, une économie entrepreneuriale créatrice de richesses en complément et en renforcement de la rente pétrolière. L'Algérie ne favorise pas encore l'émergence d'indicateurs facilitateurs de start-up et de pépinières d'entreprises privées orientées vers l'innovation industrielle ou servicielle. L'Etat joue ici un rôle majeur de régulateur d'un cadre incitatif et équitable. Mais les entrepreneurs algériens doivent aussi faire preuve de proaction juridique et participer à l'élaboration des normes, notamment par des participations actives à des comités de normalisation, des opérations de lobbying ; des comportements de légitimation ou de “compliance” venant en support de ces opérations.
(3) - Le soutien de l'Etat : les fonds d'amorçage à l'entrepreneuriat dont ont bénéficié nos entrepreneurs interrogés n'ont fait l'objet d'aucun apport direct en termes d'aide de l'Etat (cf. figure 3). Cet état de fait peut paraître justifiable a priori. L'Etat n'intervient pas dans l'amorçage des start-up. Même si cet état de fait concerne des entreprises existantes, et qu'elle ne correspond donc pas à une réalité nouvelle où l'Etat entend soutenir de jeunes entrepreneurs, et peut-être structurer à l'avenir cette aide à travers des incubateurs adossés à des structures de formation au plan national. Néanmoins, il est clair que l'aide de l'Etat en direct a été absent. Les emprunts bancaires en revanche, et l'Etat n'est pas là tout à fait absent, ont joué un rôle non négligeable.
Cependant, les indicateurs d'obtention de crédits placent l'Algérie dans les pays les moins incitatifs de l'entrepreneuriat privé, et ce de manière constante de 2008 à 2010. Ce qui confirme la réalité relatée par les entrepreneurs interrogés. Le pays demeure ainsi à la 135e place au niveau mondial des pays facilitateurs de l'obtention de crédits.
Il reste que l'entrepreneur algérien doit principalement compter sur ses propres deniers et ceux de ses proches pour démarrer une entreprise et la développer. Cette situation pose la question de la prise de risques qu'encourent les entrepreneurs algériens lorsque l'environnement politique, juridique et fiscal est instable, au-delà des turbulences financières, géostratégiques, technologiques et concurrentielles auxquelles sont confrontés les acteurs économiques dans leur ensemble et au plan mondial.
(4) Les motivations : l'examen des motivations des entrepreneurs algériens résume à lui seul l'énergie de ces hommes et femmes qui surmontent les obstacles d'un environnement parfois hostile pour continuer à entreprendre et développer leurs activités. En cela, ils sont assez proches des standards internationaux. L'entrepreneur canadien, états-unien, français ou italien n'est pas différent, même s'il évolue dans des environnements différents. Les entrepreneurs algériens sont principalement dans une posture de progrès et de réalisation de soi.
Ce ne sont donc pas des aspects qui peuvent être mis à mal par des obstacles juridiques ou même financiers. La recherche de profits, si elle reste un des nerfs de l'investissement, n'est pas à proprement parler “le nerf de la guerre”. Au demeurant, surmonter un obstacle apparaît comme un défi de plus. Il serait cependant dommage qu'en Algérie les entrepreneurs aient à surmonter plus d'obstacles qu'il n'en est ailleurs à travers le monde. L'incitation entrepreneuriale se mesure moins ici à la confiance que l'entrepreneur a dans son environnement, qu'à la confiance qu'il a dans sa propre capacité à mener à bien son entreprise. Le défi de l'entrepreneur algérien est de nature comportementale et exemplatif. Son souci premier, au-delà d'un seuil critique de création de valeur, est de démontrer sa capacité à réaliser son projet. Certains entrepreneurs algériens que nous avons rencontrés sont d'ailleurs fondamentalement davantage des créatifs et des monteurs de projets que des “money makers” dans l'âme. Mais l'un ne va pas sans l'autre. Et l'on perçoit assez nettement le poids de la reconnaissance sociale dans la satisfaction de l'entrepreneur algérien.
Cette observation nous amène à la conclusion que l'Etat pourrait être une partie prenante stratégique de ce processus, un partenaire de cette ambition, un pourvoyeur d'autonomie et un facilitateur de la réussite individuelle qui profite à tous, comme disait le réformateur britannique Jeremy Bentham qui définit d'abord et surtout l'existence de l'Etat par son utilité. C'est avec ce système de pensée que ce dernier demandait aux Etats occidentaux d'émanciper leurs colonies.
Conclusion : ne remplaçons pas une utopie par une autre utopie !
Le monde se construit d'utopies en utopies. Et bien souvent quand on croit sortir des griffes de l'une, c'est pour entrer dans une autre qui n'est pas plus rationnelle. La crise financière et les conflits géopolitiques nous en donnent des exemples tous les jours. Le problème c'est que ces utopies sont tenaces, jusque dans nos têtes.
Il faut rappeler cependant que dans un contexte de globalisation et de compétitivité internationale, les pays industrialisés investissent dans l'expansion de leurs entreprises et luttent avec énergie contre la paupérisation des activités, des technologies, des savoir-faire et des hommes. Ces choix sont des attracteurs d'IDE, de savoirs et savoir-faire nouveaux, d'échanges, de développement, d'innovations de rupture, et de renouvellement des territoires industriels et serviciels. L'objectif est toujours de limiter le nomadisme des cercles d'affaires, des industriels et des compétences humaines, mais aussi de développer des potentiels à susciter un espace favorable aux entrepreneurs.
Cet espace de développement comprend toujours un Etat fort qui joue un rôle déterminant et stratégique en matière de développement des entités territoriales et des entreprises innovantes et compétitives. Ces Etats offrent une combinaison des composantes suivantes :
l Une efficacité du dispositif institutionnel qui encadre les activités et les ressources des entités régionales, en termes de pertinence des objectifs, des moyens et de la stratégie des acteurs économiques locaux. Les entreprises régionales algériennes en seraient les bénéficiaires, mais indirectement c'est toutes les régions qu'elles occupent qui en reçoivent les dividendes sociaux et économiques.
l La capacité de ces entités à s'insérer dans les réseaux mondiaux d'échanges et/ou à accéder à un marché de grande envergure leur permettant de faire valoir leur compétence distinctive dans l'emploi de leur dotation en ressources. Il est temps que les entreprises algériennes se mettent à rivaliser avec leurs concurrentes à travers le monde quelque soit les secteurs d'activité. Michael Porter, auteur d'un ouvrage considérable sur l'avantage compétitif des nations, y voit là une source de compétitivité des nations en tête des pays industrialisés.
l Une aptitude à attirer, exploiter, diffuser et renouveler de l'information (des savoirs) utilisables à tous les niveaux des processus de conception-production (gestion, fabrication, mise en marché, distribution et service après-vente). L'Etat algérien doit aider les entreprises algériennes à se projeter dans le grand défi de l'économie de la connaissance par des actions concrètes et surtout réalisables.
L'Etat algérien est à la croisée des chemins. Il pourrait jouer un rôle majeur de capitalisation et de valorisation des ressources existantes en local, mais aussi un rôle primordial d'attractivité économique au plan international. Il assumerait pleinement son statut de bâtisseur des meilleures structures de gouvernance à l'origine de la compétitivité des entreprises algériennes. Nous glisserions d'un capitalisme d'Etat contraint au paternalisme, à un capitalisme entrepreneurial où l'Etat assume avec intelligence et volontarisme son rôle de régulateur des marchés et des structures dans la répartition des espaces de compétitivité. Les entrepreneurs joueraient alors pleinement leur rôle de stimulation concurrentielle favorable à la fois à la satisfaction des besoins et à l'innovation au plan international. La boucle du progrès serait confiée aux acteurs économiques, mais accompagnée par un Etat fort et juste. La peur de perdre le contrôle, plus que la volonté de contrôler, a toujours caractérisé les capitalismes d'Etat. Cette nouvelle forme de gouvernance permet de retrouver des figures effectives et efficaces de contrôle par la régulation circonscrite. Mais aussi, et enfin, les citoyens ne seraient plus bercés dans l'illusion d'un Etat providence… qui n'a d'ailleurs pas vocation à se substituer à ses propres choix, à son libre arbitre. Et que la pensée rousseauiste qui nous laissait croire que “les fruits sont à tous, et que la terre n'est à personne” demeure pour ce quelle est… une utopie.
(*) Professeur à l'université de Nice Sophia-Antipolis


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