Nourrir une famille de dix personnes pendant toute une année grâce à ce que produit une surface agricole de seulement 60 m2, c'est possible. C'est même du concret. Liberté était présent lors de la première récolte. Alors qu'un jour auparavant, une journée parlementaire était dédiée à la sécurité alimentaire à Alger, ici, les choses sérieuses commencent au-delà des slogans creux. Super Potager est le nom du concept agricole en question. Ses initiateurs le présentent comme révolutionnaire. “Teinté” de technologie, il a été appliqué sur deux exploitations agricoles de la ville, et ses résultats ont été plus qu'acceptables. Il est venu surtout démontrer qu'une autosuffisance alimentaire, même en milieu désertique, était possible. Le couronnement de cette méthode met en évidence la possibilité, pour tout le monde, de dépasser le stade d'assistanat dans lequel semblent se complaire beaucoup. Alors, de quoi s'agit-il vraiment ? En ce 4 mai, l'occasion a été ainsi donnée pour “fêter” les premiers résultats du Super Potager (SP). Plusieurs personnes, représentant différents organismes locaux et étrangers, étaient présentes à Hassi Khouildet, l'un des deux périmètres agricoles pilotes (l'autre est Hassi Reda), et qui se trouve à une dizaine de kilomètres de la ville. Mohamed Bouchentouf, directeur de projet à Pro-Natura International Paris et copartenaire de ce programme en Algérie, avec l'association Stop Hunter France, JTS Semences France et Sodexo Algérie, était parmi eux. Il mit l'accent sur l'“origine” de son aventure : “C'est en rencontrant des représentants de Sodexo à Paris que l'idée m'est venue d'implanter cette technique à Hassi-Messaoud où cette société a plusieurs bases de vie”. Enthousiaste et visiblement passionné par son œuvre, ce docteur en agronomie s'est attelé à développer aux présents les détails du SP. Il expliqua, en exhibant des croquis, qu'il s'agissait d'un jardin potager “novateur et écologique” qui permet de produire au quotidien, sur une surface de seulement 60 m2, “tous les éléments nutritifs nécessaires à une parfaite alimentation pour une famille de dix personnes”. Il précisa que ce jardin nécessite le minimum d'eau et d'efforts : “Avec le Super Potager, la consommation d'eau est réduite de 80% par rapport à un sol nu, et le nombre d'heures de travail par jour est de seulement deux heures”. Parmi les plus attentifs aux éclaircissements de Bouchentouf, il y avait l'ambassadeur de France en Algérie, Xavier Driencourt. Ce dernier, de passage dans la ville, et sur invitation de Laurent Martin, directeur général de Sodexo Algérie, avait tenu à être au rendez-vous. Le diplomate était accompagné, entre autres, de sa conseillère presse et communication, Loan Forgeron. Avec son appareil numérique, elle se distinguait par son “ratissage” tous azimuts. Elle se sentit d'ailleurs presque obligée d'expliquer aux deux sympathiques photographes, Hichem et Mérouane, qu'elle n'était pas en train de les concurrencer (ils couvrent tous les événements de Sodexo en Algérie), “C'est juste des photos qu'on va mettre sur le site de l'ambassade”, leur dira-t-elle avec le sourire. De son côté, M. Driencourt ne tarissait pas d'éloges sur le SP. En jeans et lunettes de soleil, l'ambassadeur rappelait à un journaliste de la station de Ouargla de l'ENTV qu'il était un habitué des lieux :“Je suis venu ici tellement de fois que je me sens chez moi.” Semences… Comme expliqué par le Dr Bouchentouf, le SP “est une combinaison entre le Jardin tropical amélioré (JTA) de JST Semences et le Biochar de Pro-Natura”. Il indiquera qu'il “permet la mise en valeur du savoir-faire local et l'application de nouvelles techniques”. Il ajoutera que le projet “aide surtout une production agricole d'éléments nutritifs nécessaires à une parfaite alimentation”. En développant l'autoproduction des légumes frais et variés, il ne pourra qu'encourager l'autoconsommation des ménages “et l'approvisionnement des bases de vie de Sodexo”, n'omettra pas de préciser Martin Laurent. Ce représentant du groupe français de restauration collective indiquera que “nous sommes pionniers dans ce projet et si ça ne s'est pas fait avant, c'est surtout que maintenant la technologie adéquate existe”. Comment donc avoir précisément cette production constante, indépendamment des saisons, avec un cycle très régulier de 45 jours et quelle que soit la saison ? La meilleure réponse ne peut venir que de Bouchentouf : “Il s'agit d'un kit comprenant des semences adaptées, des amendements du sol, du matériel d'irrigation et des équipements innovants tels que le voile de couverture. Un mode de culture biologique intensif, fruit de plus de quinze ans de recherche et trente ans d'expérience du terrain. Les semences sont le fruit de plus de quinze ans de recherche agronomique et ne contiennent pas d'OGM (organisme génétiquement modifié, ndlr)”. La société civile à la rescousse La “senteur” DZ ne consistait pas seulement en le directeur du projet, ou en la terre agricole, même le principal composant du SP, en l'occurrence le Biochar, n'en est pas épargné. “Son concepteur est effectivement un Algérien, un certain Hadibi Rachid, directeur du projet des machines de carbonisation”, annoncera M. Bouchentouf à Liberté. Une manière de dire que c'est encore une autre personne du pays qui a dû quitter sa terre pour aller à l'étranger. Un ailleurs qui bouffe de plus en plus les compétences du pays devant l'abandon total dans lequel se trouvent nos chercheurs. Un sujet sur lequel beaucoup a été dit et qui semble être d'actualité depuis des lustres, et ce qui s'est passé en ce 4 mai à Hassi-Messaoud est venu confirmer la même tendance. Simple, claire, ne nécessitant pas de gros moyens (M. Bouchentouf a donné le chiffre de 149 euros “hors taxe” pour le kit), le SP vient particulièrement rappeler la légèreté avec laquelle l'agriculture en Algérie est carrément insignifiante. Les slogans fanfarons de l'autosuffisance alimentaire qui alimentent les pseudo-politiques gouvernementales depuis 1962 n'ont rien apporté. Les chiffres en sont la meilleure indication : 75 % des besoins alimentaires de l'Algérie sont assurés par des importations, et ils coûtent près de 8 milliards de dollars. Une triste réalité avec de sombres perspectives. Mais le temps n'est plus aux lamentations. Ces ONG initiatrices du miniprojet de Hassi-Messaoud montrent essentiellement que les solutions existent toujours. En l'absence de résultats d'“en haut”, la société civile (la vraie pas la fabriquée) peut et doit trouver des solutions. Le fameux slogan d'une campagne publicitaire française dans les années 1970 (au moment du premier choc pétrolier) : “On n'a pas de pétrole, mais on a des idées !” peut se muer, quand il le faut, en “on n'a pas de pouvoir, mais on a des idées”. Pourquoi pas !