En violation de la loi britannique, des compatriotes ont tenté le diable et ont emmené leurs enfants vivre en Algérie à l'insu de leurs épouses. Sans être répandue, cette pratique est favorisée par la législation algérienne qui attribue au père le statut de tuteur légal de sa descendance. Kader, appelons-le ainsi, est déterminé à emmener sa petite fille vivre en Algérie à l'insu de son ex-femme. “Je ne peux pas accepter qu'elle habite sous le même toit qu'un étranger”, se défend-il. L'étranger en question est l'homme avec lequel son ancienne épouse s'est remariée. “En Algérie, ma fille sera entre de bonnes mains. Ma mère s'occupera d'elle et lui inculquera de bonnes valeurs”, explique Kader. Lui-même veut rentrer définitivement au pays. L'échec de son mariage a raffermi son désir de plier bagage. Rien ne le retient, même pas un emploi stable. En emmenant sa fille sans l'assentiment de son ex-femme, il sait qu'il viole la loi britannique. Au Royaume-Uni, le kidnapping parental est sévèrement sanctionné. Mais Kader n'en a cure, persuadé qu'une fois dans son pays, il ne risque pas d'être inquiété par la justice. “J'ai entendu parler de deux ou trois gars. Ils ont fait la même chose et n'ont eu aucun problème avec la justice”, dit-il confiant. Selon la législation algérienne, le délit d'enlèvement s'applique uniquement aux individus qui ne sont pas les parents des enfants. En leur qualité de tuteurs légaux de leur progéniture, les pères sont exonérés de poursuites. Reunite, une ONG britannique spécialisée dans les rapts parentaux, met en évidence l'exception légale algérienne pour exhorter les femmes qui ont des enfants avec des ressortissants de ce pays à être vigilantes. Sur le site internet de cette organisation, figurent des avis de recherche d'enfants qui ont été exfiltrés par leurs pères aux quatre coins du monde. L'une des photos montre Nassima, une petite fille blonde, que son père Mustapha a emmené vivre en Algérie sans que sa femme, Dawn, soit informée de ses intentions. Les faits remontent au mois d'avril 2006. Dans ses déclarations à la presse, Dawn affirme avoir conduit son mari et sa fille de 7 ans à l'aéroport de Belfast, en Irlande du Nord, où ils devaient prendre l'avion pour aller en vacances en Algérie. Peu avant la fin des congés, Mustapha téléphone à son épouse pour lui apprendre sa décision de s'établir définitivement avec Nassima à Alger. Aussitôt, les médias s'emparent de l'affaire. Les époux s'affrontent dans une guerre de mots sans merci. Dawn accuse Mustapha d'avoir kidnappé leur enfant et le menace de poursuites légales. Celui-ci réplique en affirmant que la loi algérienne l'autorise à garder Nassima et qu'il entend bien l'élever dans la foi islamique. Désespérée, Dawn remue ciel et terre pour retrouver sa fille et la rapatrier au Royaume-Uni. Elle se rend en Algérie, recrute un détective privé, alerte le Foreign Office et porte l'affaire devant les tribunaux. Appelée à son secours, Reunite a les mains liées. Denise Carter, sa présidente, évoque deux entraves légales qui empêchent le retour des enfants comme Nassima, d'Algérie. En vertu de la législation locale, les mineurs ont besoin de l'autorisation de leur père pour quitter le territoire. Sur un autre plan, notre pays n'est pas signataire de la Convention de La Haye. Ce traité oblige les Etats à rapatrier des enfants exfiltrés par l'un de leurs parents illicitement. Dans une mise en garde insérée dans le contenu de son Travel Warning (Conseils aux voyageurs), concernant l'Algérie, le Foreign Office informe ses ressortissants qu'à l'instar d'autres pays musulmans, l'Algérie dispose d'un système légal largement inspiré de la charia et qui accorde au père de larges prérogatives en matière de tutelle sur ses enfants. En cas d'enlèvement, le ministère britannique des Affaires étrangères dit n'avoir aucun moyen de rapatrier les enfants. Son aide consiste seulement à aviser Interpol dans l'objectif de localiser les victimes des rapts. Il se propose également de servir d'intermédiaire entre les tribunaux britanniques et les juridictions locales. Mais dans la plupart des cas, cette mission est vouée à l'échec compte tenu de l'invalidité intra-muros des décisions de justice émanant d'un magistrat étranger, surtout en matière de garde légale. En 2008, l'ambassade britannique à Alger est intervenue dans une seule affaire de dispute conjugale impliquant un enfant. Selon des sources consulaires algériennes à Londres, les enlèvements parentaux existent mais ne sont pas nombreux. Dans les années 1980, la fréquence de ces pratiques avaient conduit les Etats algériens et français à signer une convention sur la protection des enfants issus de couples mixtes séparés. En vertu de cet accord, les gouvernements des deux pays s'engagent à rechercher les victimes des enlèvements et à fournir des informations sur leur situation sociale et surtout à faciliter toute solution amiable pouvant assurer la visite ou la remise de l'enfant. En l'absence de deals de cette nature, la diplomatie prend quelquefois la relève. Par exemple, il a fallu que le Premier Ministre Gordon Brown intervienne auprès du colonel Khadafi pour qu'une petite fille, Nadia, soit rapatriée en Grande-Bretagne. Son retour a eu lieu le 15 février dernier après trois ans d'absence. Son père l'avait conduite dans sa famille, à Tripoli, après avoir divorcé de son épouse Sarah. Au bout du désespoir, celle-ci abandonne son travail et vend sa maison pour financer son voyage et son séjour en Libye. Sur place, elle sollicite l'arbitrage des tribunaux et obtient finalement la garde de Nadia. Son retour à Manchester, sa ville natale, avec sa fille dans les bras, a redonné espoir à de nombreuses mamans qui désespèrent de revoir leurs petits. Des statistiques récentes montrent qu'environ 500 enfants ont été emmenés illégalement à l'étranger par l'un de leurs parents. Selon Reunite, le nombre des enlèvements a progressé de 90% depuis 2005. Les pays les plus impliqués sont le Pakistan (30% des cas), les Etats-Unis, l'Irlande, l'Espagne, l'Australie, la France, l'Egypte. l'Algérie vient en bas de la liste. À titre préventif, notre ministère des Affaires étrangères a instruit les consulats, il y a quelques années, de la nécessité d'obtenir l'accord du conjoint étranger avant de délivrer un passeport algérien à un enfant issu d'un mariage mixte. Face aux protestations de nos compatriotes, la mesure a été partiellement supprimée. Aujourd'hui, les services consulaires prennent ce genre de dispositions uniquement dans le cas où le couple est séparé. Dans pareille situation, les fonctionnaires réclament une copie de la décision de divorce pour s'assurer que la maman ne s'oppose pas à la sortie de son enfant du territoire en compagnie de son père. Mais souvent, les ruptures à l'amiable ne comportent pas ce genre de restrictions. Ce qui conduit les plus téméraires à tenter le diable. “Il y a des Algériens qui ont emmené leurs enfants en Algérie et sont revenus comme harragas”, assure Salah, responsable d'Algerian Relief, une organisation caritative. Même si l'exception ne constitue pas la règle, il relate le drame d'un compatriote dont la femme, une Anglaise s'est évanouie dans la nature avec leurs enfants de deux et trois ans. “Malgré ses recherches, il n'a pas réussi à les retrouver. Il a peur de ne jamais les revoir”, confie Salah.