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La femme et les droits de l'homme en droit algérien (1er partie)
Publié dans El Watan le 16 - 03 - 2010

« A celle qui vécut privée des délices de l'amour de la science et de la liberté ; à la femme algérienne, je dédie ce livre en hommage et compassion ». C'est ainsi qu'un grand penseur algérien, Ahmed Redha Houhou, dédicaçait son livre Maâ Himar El Hakim dans lequel, sous une forme de dialogue avec un âne, il abordait des problèmes de société où la femme se retrouve toujours au centre du sujet. En dépit du temps passé et l'indépendance acquise, la condition de la femme algérienne mérite toujours cette dédicace.
Les conventions internationales : Les ratifications sélectives
L'Algérie a ratifié la quasi-totalité des instruments internationaux des droits de l'homme, mais n'a ratifié aucun instrument relatif à la reconnaissance et protection des droits de la femme, à savoir :
1- la convention sur les droits politiques de la femme (Nations unies, 1954) ;
2- la convention sur la nationalité de la femme mariée (Nations unies, 1954) ;
3- la convention sur le consentement au mariage, l'âge minimum du mariage (Nations unies, 1962) ;
4- la convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (Nations unies, 1979). (Ratification tardive 1994). Elle a par contre ratifié les autres conventions contre les discriminations, notamment celles basées sur la race, celle contre l'apartheid dans les sports. Elle a toutefois ratifié, il faut le dire, la convention de l'OIT concernant l'égalité de rémunérations entre la main d'œuvre masculine, la main d'œuvre féminine, pour un travail de valeur égale. C'est la seule convention protectrice des droits des femmes que l'Algérie ait ratifiée. Elle a finalement, et à une date relativement récente, (1994) ratifié la convention pour l'élimination de toutes formes de discriminations à l'égard des femmes.
Cependant, cette ratification est révélatrice et insignifiante pour deux raisons :
révélatrice en raison du retard avec lequel elle est survenue, et les circonstances politiques qui l'ont entourée.
Insignifiante en raison d'une réserve dont elle est assortie et qui permet le maintien du code de la famille, réceptacle infâme et ignoble de toutes les inégalités des sexes en droit algérien. La ratification d'une convention par un Etat n'est pas en soi une preuve du respect effectif des droits qui y sont reconnus et consacrés ; les multiples procès intentés devant la Cour européenne des droits de l'homme, ainsi que les multiples plaintes portées devant d'autres institutions telles que le comité des (droits de l'homme) des Nations unies, sont une preuve de l'écart, hélas parfois très grand, entre la ratification qui n'est qu'un engagement à tenir ou à renier sans le savoir ou en le sachant, et la situation effective et réelle des droits reconnus. Mais si la ratification n'est pas une preuve de respect effectif, la non-ratification est par contre un refus express de reconnaissance et donc la non-protection et le non-respect des droits contenus dans les conventions.
Il est vrai que certaines recherches et enquêtes menées auprès du ministère des Affaires étrangères ont révélé que certaines absences de ratifications ne sont en fait que des omissions commises par les services concernés qui se ravisent le moment venu et mettent en œuvre la procédure et les formalités nécessaires. Mais cette hypothèse est difficilement défendable en l'occurrence, car l'Algérie a ratifié toutes les conventions relatives aux discriminations, sauf celle basée sur le sexe. Cette abstention semble découler d'une démarche logique et délibérée. Elle corrobore et parachève, semble-t-il, le refus de ratifier toutes les autres conventions protectrices des droits de la femme. La position semble trop cohérente pour être le fait d'une simple négligence ou du hasard. Pour une meilleure évaluation et appréciation, scrutons le droit interne pour avoir une idée sur sa conformité avec les principes et règles contenus dans ces conventions.
Le code de la famille de 1984
Ce texte, adopté en 1984, est une sorte de réceptacle où se réunissent les plus grandes inégalités et les plus manifestes discriminations subies par la femme dans le droit algérien. La première inégalité commence lors et dès la conclusion du mariage, tandis que l'époux peut conclure lui-même son mariage et sans personne interposée, la femme ne peut le conclure que par l'intermédiaire de son tuteur qui peut être soit son père soit l'un de ses proches parents ou le juge pour la femme qui n'a ni père, ni proche parent, ni tuteur. Afin de pondérer la dépendance de la femme de la volonté, potentiellement arbitraire ou abusive de son tuteur, le code de la famille interdit à ce dernier de s'opposer au mariage de la personne placée sous sa tutelle « si elle le désire et si celui-ci lui est profitable ».
Mais qui peut apprécier le profit que peut tirer une fille d'un mariage donné ? Mais précisons qu'il s'agit d'une faculté donnée au juge s'il estime que le mariage est profitable à la fille. L'homme, quant à lui, se marie et conclut seul et directement son mariage, rien ni personne ne peut l'obliger à conclure un mariage qui lui est profitable. Notons que les usages, qui n'ont pas de valeur juridique contraignante, font que l'homme est aussi représenté par son tuteur dans la cérémonie de la Fatiha. La fille dépend donc de son tuteur ou du juge pour contracter un mariage juridiquement valable. Les mœurs et les règles de la sociologie étant ce qu'elles sont, c'est une grande infamie pour une fille de se marier contre la volonté de sa famille et grâce à la caution du juge qui, somme toute, est une tierce personne.
L'homme par contre ne connaît pas ce genre de tracas, le tuteur matrimonial n'étant pas un intermédiaire nécessaire et indispensable. Toutefois, précise le code de la famille, le père peut s'opposer au mariage de sa fille mineure, et là aussi, le problème ne se pose pas pour l'homme qui, premièrement, n'est pas cité dans le texte, et deuxièmement ne devient nubile (21 ans) qu'après sa majorité (20 ans). Tandis que la fille est nubile a 18 ans, plus tôt que le garçon, avant d'être majeure, ce qui la met dans l'intervalle de deux ans entre la nubilité et la majorité dans une totale dépendance de la volonté de son père (et/ou) de son tuteur. Curieuse contradiction de la législation algérienne qui considère que la fille est plus précoce que le garçon pour le mariage, mais ne peut jouir des mêmes droits pendant toute sa vie.
Les prérogatives et attributions du tuteur lui donnent une nature mitigée et ambiguë, il est plus qu'un mandataire, puisqu'il peut, dans certains cas, s'opposer au mariage et donc est doté d'une volonté autonome qui s'oppose à celle de l'intéressée (minorité). La pratique révèle aussi que la Fatiha, cérémonie au cours de laquelle l'accord de volontés est conclu entre le tuteur de l'épouse et l'époux ou son tuteur se déroule en l'absence de la femme. Ainsi, l'expression et le respect de sa volonté est tributaire de la bonne foi de son tuteur. L'absence du tuteur matrimonial est une cause de nullité du mariage, mais il est permis de dire que le consentement de l'épouse est un élément qui peut être contourné, car rien n'oblige l'imam (autorité religieuse sous l'égide de qui la Fatiha se déroule) de s'assurer du consentement de l'épouse.
Ainsi, on peut déduire que peu, ou pas de garanties sont données pour la protection et l'assurance effective du consentement de la fille qu'on marie. Il faut signaler qu'après la Fatiha, les époux doivent signer l'acte de mariage à l'état civil et la présence de l'épouse et sa signature (et aussi celle de son tuteur) est requise ; mais cet acte n'est pas une condition de validité du mariage, il n'est qu'un moyen de preuve. Ainsi, en pratique, un mariage conclu grâce à la seule déclaration de volonté du tuteur sans assurance du consentement de la mariée est un mariage valable et complet. Les mariages conclus par la seule Fatiha (qu'on appelle coutumiers) sont validés par des jugements qui constatent l'accomplissement des rites, et le juge peut constater et valider le mariage non signé et non enregistré à l'état civil par la seule réunion de ses éléments constitutifs.
En Algérie, beaucoup de mariages coutumiers (sans acte d'état civil) et donc en possible violation de la volonté de la fille, ont été validés par les tribunaux. Il faut dire aussi que pour ces validations judiciaires, les juges peuvent s'enquérir et requérir la volonté de l'épouse, mais ces validations ne sont souvent demandées que plusieurs années après le mariage (en général pour la scolarisation des enfants à qui est demandé un acte de naissance), et il est pratiquement inconcevable pour la femme de demander l'annulation d'un mariage avec une nombreuse progéniture comme tel est souvent le cas.
La polygamie : Le droit à la jalousie
La licité ou plutôt la légalité de la polygamie frustre la femme du droit fondamental à la jalousie, tandis que certains courants doctrinaux de la chariaâ (législation islamique) subordonnent le droit de l'époux à la polygamie à certaines conditions, notamment la stérilité de l'épouse ou sa maladie et aussi le consentement de celle-ci, le code de la famille algérien en fait un droit incontrôlé sous la simple réserve de conditions et intentions d'équité qui ne peuvent en pratique être contrôlées qu'a posteriori et non préalablement au mariage. Par ailleurs, il n'est requis de l'époux qu'une formalité préalable consistant en une simple « information » de la ou des premières épouse(s). Au cas où elle(s) ne consentirai(en)t pas à cette rivalité, elles n'aurai(en)t que la possibilité de demander le divorce.
Il est vrai que la polygamie est parfois une meilleure alternative pour l'épouse que le divorce ou la séparation, le problème est que le texte algérien en fait un droit sans limites. L'épouse bafouée n'aura qu'à consentir et se soumettre ou partir séduite et abandonnée parfois, avec à sa charge une lourde progéniture. La légalité de la polygamie a fait dire à certains juristes que le droit musulman fait de la fidélité une obligation exclusivement féminine. Par ailleurs, le choix qu'on donne à l'épouse d'entériner et d'accepter une vie avec une ou d'autres co-épouses n'est parfois que chimérique en raison notamment des conditions économiques et des conséquences matérielles du divorce. En outre, si elle refuse cette cohabitation, l'époux aura l'issue facile dans une rupture du mariage, remède parfois aussi douloureux que le mal.
Le divorce : L'inégalité devant la quête de liberté
Cet épisode ou incident de parcours conjugal est aussi une opportunité où la femme va être confrontée à une inégalité manifeste et expresse.
A l'instar de la conclusion du mariage, l'époux et l'épouse se retrouveront à l'occasion de sa rupture dans un statut fondamentalement inégal, déséquilibré et inéquitable.
L'époux peut divorcer pour toute raison ou même sans raison et ce, en exerçant son droit au divorce par volonté unilatérale, euphémisme de la répudiation. L'épouse, quant à elle, ne peut demander le divorce que dans cinq cas limitativement énumérés :
1)- défaut de paiement de la pension alimentaire prononcée par jugement, à moins que l'épouse eut connu l'indigence de son époux au moment du mariage ;
2)- pour infirmité empêchant la réalisation du but visé par le mariage ;
3)- pour refus de l'époux de partager la couche de l'épouse pendant plus de quatre mois ;
4)- condamnation du mari à une peine infamante ;
5)- absence de plus d'un an sans excuse valable ou sans pension d'entretien ;
6)- préjudice légalement reconnu ;
7)- faute immorale gravement répréhensible établie.
L'analyse de ces motifs laisse apparaître certaines zones d'ombre et certaines ambiguïtés (exemple : quelle est la faute immorale gravement répréhensible ?), et là, une grande marge d'appréciation est laissée au magistrat saisi pour décider si le motif invoqué par l'épouse est acceptable et ouvre droit au divorce, tel est aussi le cas par exemple de « l'excuse valable » pour une absence qui dépasse une année. En somme, tandis que le mari peut se séparer d'un lien conjugal sans citer de motif à étudier par le juge, le rôle de ce dernier se limitant à un simple enregistrement et à une fixation des réparations conséquentes, l'épouse qui veut se libérer d'un lien conjugal sans motif légal à invoquer ne dispose que d'un moyen : le « khôl' » qui consiste en un versement par l'épouse d'une somme d'argent équivalente à la valeur de la dot de parité, rançon à payer en contrepartie de sa libération, c'est en quelque sorte le « prix de l'affranchissement ».
L'époux, qui divorce sans torts de l'épouse et sans motif légal ou valable, ne sera condamné qu'à lui payer des réparations qui, en pratique, sont nettement inférieures à la dot de parité qu'aurait payée la femme si la situation s'inversait. En plus des inégalités subies lors de la conclusion du mariage durant le mariage et à l'occasion de sa rupture, la femme va connaître d'autres préjudices et d'autres infériorités quant aux conséquences du divorce.
Le droit de garde et ses limites
Le code algéri octroie le droit ou plutôt le devoir de garde des enfants par priorité à la mère ; cependant, certaines inconséquences de ces textes comportent des restrictions aux prérogatives qui accompagnent en principe ce droit ainsi qu'une limitation des attributions qui sont nécessaires à son exercice. La garde ne comprend pas la tutelle, c'est-à-dire l'exercice de prérogatives juridiques concernant l'enfant qui demeurent l'apanage du père. Les prérogatives de la femme titulaire du droit de garde des enfants se limitent à leur entretien (logement, nourriture, soins), tout autre engagement ou prise de décision les concernant reste l'apanage du père. Le juge peut seulement, dans deux cas précis — abandon de famille par le père ou disparition de celui-ci —, autoriser la mère à signer certains documents à caractère scolaire ou social.
Ainsi, une mère ne peut prendre des engagements et des décisions concernant ses enfants dont elle a la garde qu'avec une autorisation du juge. Il faut ajouter à cela que cette autorisation ne peut être donnée que pour les décisions relatives à la situation de l'enfant sur le territoire national, en aucun cas, la mère n'est habilitée à signer quelque chose concernant les enfants pour leurs déplacements en dehors du pays. En aucun cas aussi elle ne peut emmener ses enfants en voyage en dehors du pays sauf autorisation expresse de leur père ou du juge ou une autre autorité judiciaire. Le père, au cas où il est titulaire du droit de garde, ne connaît pas ce genre de restrictions.
Le domicile conjugal ou le droit à l'errance
L'épouse titulaire du droit de garde des enfants ne bénéficie pas automatiquement du domicile conjugal dont l'attribution à l'épouse est subordonnée à des conditions restrictives, notamment la possession de l'époux de plus d'un logement et l'absence pour l'épouse d'un parent capable et disposé à l'héberger. La crise du logement en Algérie fait que ces deux conditions ne se réunissent qu'exceptionnellement ; par ailleurs, une règle jurisprudentielle ajoute une autre condition d'un nombre minimal de deux enfants à garde. L'exigence combinée de ces conditions engendre le fait que dans la quasi-totalité des cas, la femme perd le droit au domicile conjugal et même son droit au maintien dans les lieux (en cas de location).
Les enfants subissent souvent avec leur mère le destin des sans-logis décent ou des sans domicile fixe. Il faut toutefois signaler qu'un effort d'interprétation, ici et là, a conduit certains tribunaux à obliger le père à s'acquitter des frais de loyer du domicile habité par son ex-épouse et ses enfants, mais cette règle n'est pas automatiquement appliquée par tous les tribunaux et ce, en l'absence (à notre connaissance) d'un arrêt de principe de la Cour suprême. La question connaîtra une évolution notable et louable dans la réforme de 2005. (Nous y reviendrons).
Le cas des mariages mixtes
Le problème des restrictions des prérogatives des mères qui gardent les enfants se pose avec une particulière acuité pour les couples mixtes au cas où la mère de nationalité non algérienne et résidant à l'étranger voudrait, pour une raison ou pour une autre, se déplacer avec ses enfants dans son pays. Il semble que cela soit impossible sans une autorisation et peu probable du reste par le père. Il y a quelques années, des citoyennes françaises mariées à des Algériens ont été confrontées à un problème de ce genre et ont observé un sit-in devant l'ambassade de France afin que celle-ci intervienne auprès des autorités algériennes pour débloquer leurs situations. Leurs époux refusaient d'autoriser leurs enfants venus en Algérie dans le cadre du droit de visite, à retourner en France.
L'intervention des autorités judiciaires algériennes était très difficile à obtenir en raison des règles « impératives d'ordre public » contenues dans le code de la famille. La crise a eu, on s'en souvient, une solution beaucoup plus diplomatique que juridique. Doit-on déduire que l'étrangère mariée à un Algérien est obligée de vivre en Algérie pour exercer son droit de garde et vivre avec ses enfants. La prééminence du droit du père se manifestera encore quand il s'agira du droit d'éducation. N.- E. L. : Avocat
( A suivre)


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