Au-delà du débat, que les historiens des deux côtés de la Méditerranée ont engagé depuis fort longtemps, l'incursion des politiques dans ce débat ne fait qu'envenimer les rapports entre les deux pays. Bien avant sa projection au Festival de Cannes, le film Hors-la-loi, de Rachid Bouchareb, suscite la polémique en France. S'il est compréhensible que les pieds-noirs et les harkis se sentent gênés par la réminiscence d'une triste période, la réaction des officiels français est, pour le moins, troublante. Certes, il y a eu la réaction tardive, passée presque sous silence, du ministre français de la Culture, l'ancien socialiste Frédéric Mitterrand, qui a estimé mardi que “les débats sur le drame de la guerre d'Algérie sont sains, ils nous aident à reconstituer une trame essentielle de notre passé récent”. “J'observe que la plupart de ceux qui en parlent (du film, ndlr) ne l'ont pas vu. Je le verrai moi-même très prochainement pour me forger une opinion”, a indiqué M. Mitterrand. “La liberté de tous n'est pas en conflit avec le devoir de mémoire. Aujourd'hui, le cinéma contribue à sa façon au devoir de mémoire, comme l'a fait récemment encore le film la Rafle et comme l'ont fait ces dernières années de nombreux films consacrés à la guerre d'Algérie”, a souligné le ministre. “Tout le reste n'est qu'allégations qui continuent à aggraver le climat d'un débat qui devrait être salutaire”, a-t-il conclu. Cette sortie n'est pas pour plaire au parti du président Sarkozy, l'UMP, dont un député, Lionnel Luca, pour ne pas le nommer, se targue d'avoir empêché le film de concourir dans la sélection française au prochain Festival de Cannes. Lionnel Luca fait état d'un document du Service historique de la défense (SHD) qui juge le scénario “parsemé d'erreurs et d'anachronismes” et “d'invraisemblances parfois grossières”. Le Service historique de la défense avait été saisi du scénario par Hubert Falco, secrétaire d'Etat à la Défense et aux Anciens combattants, le 18 juin 2009, à la demande de Lionnel Luca. Le SHD a rendu son rapport le 9 septembre 2009. Il cite un seul exemple : en 1945, l'auteur fait crier à des musulmans : “Vive le FLN !” Or, le FLN a été créé en 1954. Pourtant, à aucun moment du film, projeté vendredi, cette phrase (Vive le FLN !) n'est prononcée. Le général de division Gilles Robert, chef du Service historique de la défense, écrit : “Les nombreuses invraisemblances présentes dans le scénario montrent que la rédaction de ce dernier n'a pas été précédée par une étude historique sérieuse. Cette approximation historique rend ce film de fiction peu crédible.” Or, en prenant comme sujet les émeutes de Sétif, en 1945, Rachid Bouchareb voulait “faire la lumière sur ce pan de l'histoire commune aux deux pays” et “rétablir une vérité historique confinée dans les coffres”. Le SHD est, en fait, le service de propagande de l'armée coloniale. Alors que le général Paul Aussaresses, et avant lui son collègue Marcel Bigeard, affirment que Larbi Ben M'hidi fut torturé et assassiné, le SHD maintient la version propagandiste selon laquelle l'un des pères de la Révolution algérienne se serait suicidé. Le SHD est, de loin, mal placé pour juger de la véracité des faits historiques liés à la guerre de Libération. Mais, au-delà du débat que les historiens, des deux côtés de la Méditerranée, ont engagé depuis fort longtemps, l'incursion des politiques dans le débat ne fait qu'envenimer les rapports entre les deux pays. Lorsque Le Pen, l'ancien parachutiste tortionnaire, se met à parler de la guerre d'Algérie, on connaît d'avance le refrain, mais qu'un ministère de la République française, la Défense en l'occurrence, se hasarde dans ce bourbier, cela risque de l'éclabousser. On croyait que Nicolas Sarkozy, qui n'a pas pris part à cette page de l'histoire commune entre les deux pays, allait prendre de la distance par rapport aux nostalgiques d'une certaine “Algérie française”. Son parti, l'UMP, apparemment plus préoccupé par les élections de 2012 et de la concurrence de l'extrême-droite, que par la refondation des relations algéro-françaises sur des bases saines, est en train de s'enfoncer dans le populisme propre à Le Pen. Il est vrai que le film de Bouchareb risque d'éveiller, à nouveau la communauté algérienne établie en France. Les jeunes Beurs, très attachés à l'Algérie, mais qui ne connaissent pas vraiment l'histoire du pays de leurs parents, vont découvrir, à travers le film, les conditions misérables dans lesquelles vivaient leurs parents et leur contribution dans l'indépendance de leur pays.