Le téléphone n'arrête pas de sonner. Inquiets et indignés, de très nombreux lecteurs de toute la région de Sétif nous appellent pour s'enquérir des dernières nouvelles et nous témoigner toute leur sympathie. Plusieurs d'entre eux nous demanderont comment ils pourraient nous venir en aide et certains nous conseilleront même d'occuper la rue et qu'ils seront de notre côté, puisque dira un lecteur : “C'est là le seul langage qu'ils entendent (…)” “Surtout tenez bon et ne les laissez pas vous diviser ! C'est leur dernière chance pour ne pas être vaincus”, dira cette lectrice au téléphone, qui nous demandera combien nous étions au bureau afin de nous ramener une tarte au citron. Touchante attention. Mais, au téléphone ou à la rue, les gens sont unanimes : “Nous le savions !” Il nous diront tous qu'ils avaient remarqué que le ton avait changé dans la presse indépendante et que les témoins de leur temps et de leur société que sont les journaux avaient amorcé un tournant qui laissait présager une lutte sans merci contre les perversions du pouvoir et de ses relais. “Il était prévisible que poussés dans leurs derniers retranchements, les maîtres du jeu opteraient pour une réaction de ce genre, pour assurer leur survie…”. Un émigré, attablé à une terrasse, à quelques mètres de la fontaine de Aïn Fouara, nous dira, désabusé : “Vous ne pensiez tout de même pas qu'ils allaient vous laisser étaler toutes leurs frasques et tous leurs crimes sans réagir ? Attendez-vous même au pire !”. Un autre, qui a pourtant l'âge, le passé et le profil psychologique de cette multitude, habilement manipulée et vaguement acquise au régime et qui se range habituellement sans état d'âme du bon côté du manche, dira pourtant : “L'histoire a déjà tranché. Ils iront rejoindre Marcos, Pinochet et Bokassa ! Leurs enfants passeront leur vie à se disputer dans les tribunaux ce qui restera des rapines de leurs pères. Et ce sera en partie grâce à la presse !”. Le muselage de certains titres de la presse indépendante est donc le sujet-roi. Mais, on sent bien que, cette fois-ci, le pouvoir a dépassé la “ligne rouge” chère à ses propres adeptes. Les récents déballages sur ceux qui sont censés nous gouverner et qui s'occupent à se gaver sans aucune retenue de la manne publique, ont profondément choqué la population, pourtant désabusée et habituée aux incroyables forfaitures de ses dirigeants autoproclamés. À entendre les gens, il y a fort à parier que cette énième lâcheté du régime provoquera un salutaire sursaut populaire : “Le peuple a appris lentement, mais sûrement que le meilleur moyen de les bouter dehors, sans qu'ils ne puissent nous monter les uns contre les autres, sera la désobéissance civile la plus totale et surtout le boycott de toutes les élections, y compris la présidentielle. Quand le peuple ne votera plus, ils ne pourront pas faire avaler à cette opinion internationale dont ils ont besoin pour se maintenir, que c'est par la volonté populaire qu'ils ont été investis”, dira cet homme qui nous donne son nom et qui insiste pour être cité. Ces prises de position font leur petit bout de chemin dans les convictions de la population dont la conscience politique n'est pas aussi absente que certains voudraient bien le faire croire. D. B.