Ce roman vient de paraître dans un contexte très spécial. Un livre posthume. Un hommage rendu à une femme, une mère, une épouse par sa famille. L'auteure a quitté ce bas monde avant que son livre soit publié. Un testament livresque. Un témoignage sur une époque qui ne reviendra plus. Plus que jamais révolue. Dar El Louz, un titre évocateur de souvenirs, qui interpelle. Dans son seul et unique roman, Dahbia Abrous met en scène une petite fille, Dalia. Vivant dans les années de colonisation, mais aussi de révolution et de guerre d'indépendance. C'est l'histoire, pas comme les autres, de cette fillette au destin plus qu'improbable. Un destin radieux, malgré son appartenance sociale. Issue d'une famille kabyle venue à Alger pour fuir les exactions de l'armée française, Dalia, qui a été gâtée non pas la vie, mais par sa famille. Surtout ses grands-parents paternels cheikh Mohand et lla Yamina. Le décor de ce roman est planté dès la première page : “Surplombant Alger la blanche, et enfoui dans les reliefs rugueux de Z'ghara, un quartier populaire dominant la mer Méditerranée, Dar El Louz était une maison mauresque où il faisait bon vivre.” (page 13). L'auteure nous plonge dans un passé que nous, jeunes, ou nouvelle génération, connaissons qu'à travers les récits de nos aînés. De pérégrination en pérégrination, le lecteur est tout de suite transporté. Tel un fil d'Ariane, la petite Dalia (qui signifie vigne) raconte son histoire, celle de sa vie, de sa famille, de son quartier, de sa ville, voire de son pays, non pas avec sa bouche. On la découvre à travers son regard d'abord de petite enfant, insouciante, ne pensant qu'à s'amuser et mettre en rogne sa mère ; ensuite, adolescente découvrant le monde qui l'entoure avec un autre regard, plus curieux, prenant le temps de se poser des questions et de chercher des réponses ; puis, enfin, jeune femme, responsable et avide de réussir. Consciente qu'elle seule peut déterminer le cours que prendra sa vie. Dar El Louz, outre son côté romanesque, c'est aussi une intrusion dans la vie de l'auteure. En fait, à travers le personnage Dalia, c'est aussi Dahbia qui se dévoile, se met à nu. Sans être totalement autobiographique, Dar El Louz livre, avec une certaine pudeur, des fragments, voire des flashs de la vie de l'auteure. D'ailleurs, il n'y a pas que la vie de Dahbia Abrous qui est un peu abordée, mais quasiment celle de toutes les Algériennes qui ont vécu la même période qu'elle. Avec une écriture souple, sans trop de détours et pas du tout contraignante, Dar El Louz nous fait sourire quand Dalia n'en fait qu'à sa tête. On a de la peine, voire une grande envie de pleurer quand cette dernière est triste ou qu'un malheur s'abat sur sa famille. “Contrairement à ce qu'elle attendait, Mohamed sortit de la pièce où on lui avait fait sa toilette aussi inerte qu'il y était entré. (...) Elle suivit son petit frère de loin, un flot de larmes noyant son visage. Elle savait maintenant qu'il était bien mort et qu'il ne lui appartenait plus.” (page 222). Dar El Louz, c'est aussi une succession de départs, de séparations. La première commence avec le départ en France de Chérif, le père, c'est ensuite la fuite d'un village en Kabylie pour sauver sa vie, puis le départ précipité d'une maison qui a vu la petite Dalia grandir… Des changements de décors, mais sans autant altérer à cette envie de continuer la lecture. C'est aussi un clin d'œil aux liens sacrés de la famille que rien ne pouvait altérer. Tout au long des dix-neuf chapitres, le lecteur assiste en tant que spectateur, regardant de la grande fenêtre une vie défiler. Celle d'une petite fille qui grandit bien, telle une vigne. À force de sacrifice et de persévérance, elle prit son envol tel un oiseau quittant son nid. C'est une part de vérité romancée. Dar El Louz a bel et bien existé. Mais il n'en reste aucune trace aujourd'hui. Juste des souvenirs que Dahbia Abrous a partagés avec nous dans ce texte spontané, sans fioriture aucune. Un texte chargé d'amour et gorgé d'émotion. L'Amandier de Dar El Louz, de Dahbia Abrous, roman, Alger, mai 2010.