Le rituel agraire Thiregwa intervient une fois par an, le dernier week-end du mois de mai. On lui attribue dans la région des puissances invisibles de tout ordre, selon la foi et la conception de la population locale, car permettant d'évoquer Dieu et les saints de la région. Aït Ouabane est un village d'environ 4 000 habitants – dont plus d'un millier vivent à l'extérieur – enclavé au pied du mont faisant aujourd'hui parti du Parc national du Djurdjura, vu son patrimoine forestier et sa nature (faune et flore) en général assez particuliers. Il est délimité par le massif montagneux, côté est Béjaïa, à l'ouest les localités de Yatafène et d'Iboudrarène, au nord Aïn El-Hammam et Iferhounène et au sud la wilaya de Bouira Le village d'Aït Ouabane est historique non seulement par son relief, mais pour avoir été un lieu de refuge pendant la guerre de libération. Qui ne se souvient pas de la bataille d'Aït Ouabane en décembre 1957 ? Bataille qui a marqué toute la population de la Haute-Kabylie, où le village a été rasé, car l'armée française avait détecté la présence du colonel Amirouche et sa troupe, réfugiés dans la maison d'Ibrahim Ouali Salah. La maison en garde encore de nos jours les traces. Nul doute qu'Aït Ouabane est un village martyr qui compte pas moins de 200 moudjahidine. Chaque année, à la même période, les villageois s'attellent à l'organisation d'une manifestation d'une grande affluence populaire. Ce rituel agraire Thiregwa, à qui on attribue dans la région des puissances invisibles de tout ordre, selon la foi et la conception de la population locale, permet d'évoquer Dieu et les saints de la région, sans qui il n'y aurait pas d'abondance ni baraka. Ce rituel intervient une fois par an, au dernier week-end du mois de mai. Prélude à une saison de récolte abondante. Etant un village isolé, la solidarité des habitants s'impose face à l'enclavement. Les habitations ainsi que les parcelles de terrain se situent sur les rives d'un cour d'eau permanent qu'il faut exploiter en période de chaleur et de soif et éviter en hiver. Pour rétablir les réseaux d'irrigation (Thiririth n'Thregwa), timechrat (sacrifice de l'offrande) est nécessaire. Tout le monde doit se mettre de la partie pour accomplir sa tâche. Très tôt le matin, les hommes du village doivent répondre à l'appel, la présence de chacun est obligatoire et indispensable, nul n'est censé présenter une excuse ou un alibi, sauf en cas de maladie grave ou empêchement extrême. Une fois réunis, tôt le matin, les hommes sont désignés selon les compétences de chacun, qui pour la dhbiha (le sacrifice), qui pour les travaux de canalisation, la construction de la digue (retenue de l'eau, sorte de réservoir naturel)… Vers midi, tout le monde déjeune d'un repas consistant en un couscous traditionnel soigneusement préparé avant de l'offrir au saint. Tous les villageois doivent se munir d'une cuillère — fidélité à la règle d'hygiène ancestrale — et goûter indifféremment de chaque récipient dont on ignore le propriétaire ; une façon de marquer la réconciliation entre les compatriotes. N'est-ce pas là un geste humain à caractère civilisationnel ? Ainsi, même les ennemis peuvent à l'occasion se partager “thagoula d'lemleh”, mets et sel, occasion d'outrepasser les inimitiés, de se pardonner et d'oublier les rancunes. L'écoulement de cette eau limpide qui, outre l'arrosage, laverait aussi bien les impuretés que les différends. On attribue aussi au saint Sidi Hend Ouamrane plusieurs vertus thérapeutiques dont la stérilité féminine, la dépression et autres maladies psychiques : l'agressivité “ijenniwen”, l'épilepsie “imsigmane”… Ce jour-là, l'enfant né entre les deux rites de timechrat sera découvert pour la première fois au lieu saint de Sidi Hend Ouamrane après avoir donné “asefdhar”, un mets de la maison offert par ses parents. Il viendra ainsi s'ajouter au groupe. Il convient ici de souligner que cette pratique concerne les deux sexes sans aucune distinction, sachant que les deux étant nécessaires à la survie de la race et à l'agrandissement du groupe et de la force de production. Une fois de plus, dans ce genre de rite, la vie et la mort, comme le sacré et le profane, se côtoient ; c'est là peut-être où le génie agropastoral se lie au soufisme et se mettent à l'épreuve : pas d'interdit, pas de ségrégation, ni d'inimité ou de mépris, c'est le don de soi, de sa richesse, de sa possession qui est renforcé. Être au service de l'autre, de sa communauté. Aujourd'hui, beaucoup de gens des localités voisines (Selloum, M'cheddala, Mayot…) y croient encore et viennent pour s'y soigner. Une véritable marée humaine à majorité féminine merveilleusement bien vêtue en harmonie avec les couleurs de la nature viennent visiter, échanger des idées, se rencontrer… Timechrat, zarda, waâda… sont des rituels soufis.