Par ces temps de passion footballistique, rien de mieux, pour garder sa sérénité, que de parler d'un philosophe, l'un des plus grands, qui vient juste de nous quitter : Pierre Hadot. La mort de cet homme dont le nom ne signifie rien à beaucoup de personnes, m'a pourtant ému au-delà de ce qu'on pourrait ressentir pour un inconnu. Quand je mesure ce qu'il m'a donné à travers ses écrits, je pense qu'il fut un vrai ami, silencieux certes, mais toujours précieux et de bon conseil. On aura compris que mon ami Hadot était, est pour longtemps encore, le meilleur spécialiste de la philosophie antique. Il a réexpliqué le stoïcisme en corrigeant, luxe suprême, le maître à penser Michel Foucault sur la notion de culture de soi que celui-ci voyait comme un rapport égoïste de soi à soi alors que pour Hadot il faut transcender le soi. Il a éclairé, par ses interprétations toujours didactiques, les soliloques de Marc Aurèle et le manuel d'Epictète. Hadot a rendu la philosophie à sa vraie place, ailleurs que dans les amphithéâtres, dans la vie de tous les jours, comme une manière de vivre et de mourir. Le philosophe n'est pas celui qui veut changer le monde, mais celui qui commence d'abord par se changer lui-même, en vivant chaque jour comme s'il était le dernier, mais aussi le premier. Se concentrer sur la beauté de l'instant ici et maintenant et le vivre pleinement, en étant émerveillé par cette chance qu'est la vie. “Seul l'insensé vit dans le futur”, dit Sénèque, un des maîtres de Hadot. Montaigne, un autre maître, qui cite 300 fois Sénèque dans ses essais, lui répond que vivre doit être notre principale occupation. Il s'agit simplement d'apprendre à vivre avant qu'il ne soit trop tard. Mais comme il n'est jamais trop tard pour apprendre à philosopher, il n'est jamais trop tard pour vivre. Les livres de Pierre Hadot ont changé la vie de beaucoup de personnes. Ils leur ont appris que ce ne sont jamais les choses qui touchent l'âme, mais notre jugement sur elles, notre représentation. Il s'agit simplement pour nous de dépasser notre subjectivité en nous libérant de nos opinions pour expurger notre regard de la laideur du jugement. “Aujourd'hui je me suis débarrassé de mes dernières chaînes, c'étaient mes opinions.”, dixit Marc Aurèle auquel Hadot a consacré un beau livre : La citadelle intérieure. Dans N'oubliez pas de vivre, une étude consacrée à Goethe et à la tradition des exercices spirituels, il cite ce joli poème du même auteur intitulé tout simplement Règle de vie. “Veux-tu jolie vie te modeler? /Du passé ne doit point te soucier/ Le moins possible te fâcher/ Du présent sans cesse jouir/ Aucun homme ne haïr/ Et le futur, à Dieu l'abandonner.” Dans ces quelques lignes, tout est dit : la concentration sur l'instant présent et le bonheur de le vivre, l'amour du prochain, l'acceptation du destin, toutes choses nécessaires à une vie bonne. Pierre Hadot est mort à près de 90 ans. Il est mort comme il a vécu : serein comme il sied à tout philosophe. Et cette qualité s'adresse à toute personne qui vit selon le bien moral en conjuguant lucidité avec bonheur. Et non aux enseignants en philosophie qui rendent cette matière souvent si austère qu'elle éloigne à jamais les étudiants. Pourtant, la joie est du côté de la philosophie. L'amour aussi, l'amour de la sagesse, des êtres humains et de la nature. Tous les philosophes étaient d'humeur égale comme le premier d'entre eux : Socrate. Ils étaient heureux parce qu'ils se suffisaient à eux-mêmes, sans désirs, ni besoins superflus. Juste le nécessaire. Hadot a laissé beaucoup d'enfants très généreux : ses livres. Il n'est donc pas mort. Puisque son enseignement demeure. Lecteur, un ami vous attend. Un professeur de bonheur. H. G. [email protected]