Dernièrement, H. Zékiri, « Mido » pour les intimes, un homme de culture et qui plus est responsable de la communication à la wilaya de Biskra, m'invite à une vente-dédicace, « une première d'une série de soirées culturelles », qu'il animera à l'hôtel des Ziban, situé à une encablure de l'emplacement du « café de Gide », dont Fernand Pouillon s'inspira pour construire ce 4 étoiles. Il me parle de Hamid Grine qui a accepté de faire le déplacement d'Alger pour ce premier rendez-vous. « Mea culpa, ce nom ne me rien dit rien », répondis-je. « Comment ? Tu ne connais pas Hamid Grine ? », s'étonne Mido. Mais il s'agit de « son » ami de toujours et pour ma gouverne, il ajoute : « Hamid Grine fut dans les années 1980 l'un des grands journalistes sportifs algériens, sinon le meilleur, puis il devint rédacteur en chef de plusieurs publications ; de plus, il est écrivain, philosophe et non moins responsable de la communication d'une multinationale établie en Algérie ». Suit une bio en bonne et due forme de l'auteur du best-seller Lakhdar Belloumi, un footballeur algérien Enal Alger, 1986. « Un livre tiré à l'époque à 20 000 exemplaires, épuisés en quelques semaines… », précise Mido. Ce sont d'abord les mots tempérance et sérénité qui me sont venus à l'esprit, quand pour la première fois j'ai discuté avec Hamid Grine. Sous un regard fin, un brin malicieux, un sourire tout en dents, volontiers accort, vous accueille avec un zeste de déférence dans la voix qui sied bien à l'orateur éloquent et agréable qu'il m'a été donné de découvrir. Au cours de cette soirée, Hamid Grine qui a, deux heures durant, parlé de lui-même, de son labeur d'écrivain avec un détachement et parfois avec passion et émotion, a charmé l'assistance, un auditoire tout ouie, qui littéralement, buvait ses paroles, une bande d'anciens copains et d'amis de l'écrivain, des invités du comité des fêtes de l'APC de Biskra le sponsor de la vente-dédicace les autorités locales, sans oublier bien sûr les Biskris qui ne rechignent pas à l'achat d'un ou de plusieurs livres, s'est révélé être un conteur admirable. Personne parmi cette aimable assistance, qui se pressait dans le salon particulier du palace, n'osait interrompre une éloquence qui coulait de source. Je ne pourrais empêcher les lecteurs d'El Watan et plus précisément les accros de la rubrique « Culture » de penser : « Plus flagorneur que moi tu meurs », après avoir, bien entendu, lu ces lignes du « second philosophe francophone de la ville Biskra », le premier étant sans aucun doute, le défunt Nabhani Korribaâ, auteur, entre autres, d'un essai sur Omar Khayyam. Et comme disait un sage : « Il n'y a en effet que l'approbation de la postérité qui puisse établir le vrai mérite des ouvrages. » Comme je ne voulais guère faire un papier rien qu'en me contentant de la lecture de quelques quatrièmes de couverture des nombreux ouvrages de Hamid Grine, j'ai donc lu Cueille la nuit avant le jour - Editions Alpha Design - Septembre 2005 - 325 pages, que l'auteur a bien voulu dédicacer à ma fille. Et surprise, j'y ai découvert l'empreinte d'un grand écrivain, un véridique, dont la prose soutenue par un style d'une sobriété spartiate mais sachant toujours l'assortir à la matière qu'il traite et d'y développer, pince-sans-rire, un humour exquis tout au long d'un abécédaire, en l'occurrence une cinquantaine de thèmes variés, dont la lecture active – chose qui ne m'est point arrivée depuis longtemps – a réussi le tour de force de me réconcilier personnellement avec le livre papier et avec la philo. La simplicité du style de Hamid Grine faite de grâce, d'ironie imperceptible m'a rendu attrayante la lecture de cet essai, où l'aisance du discours le dispute à l'élégance de la démonstration. Au cœur du débat, qui a fini par s'instaurer, interrogé au sujet de son style particulier, tant il est vrai que « le style est l'homme même », comme le dit Buffon, Hamid Grine me répondra que le style de ses livres est le même que celui de ses écrits journalistiques : « Peu de gras, c'est-à-dire pas d'adverbes et d'adjectifs, ces cholestérols de l'écriture. » et sur le fond, il précisera : « J'ai toujours été philosophe dans le sens où j'ai toujours essayé de me maîtriser, d'aspirer à quelque chose qui me donne la sérénité, qui m'aide à vivre. Je me suis toujours posé deux questions fondamentales : primo, comment rendre la vie moins insupportable ? Secundo, quels sont les maîtres qui pourront me fortifier et m'aider à vivre ? » C'est vrai, ses livres sont vivifiants ! En fermant son essai Cueille le jour avant la nuit et la galerie de la trentaine de portraits très ressemblants de Comme des ombres furtives, qui tous deux se lisent très facilement, de façon aléatoire. Du reste, on peut les ouvrir à n'importe quel chapitre et zapper d'un thème à un autre, d'un portrait vers d'autres – je dis cela pour les fidèles lecteurs du livre en papier… vélin que la Toile, le surf sur les sites Warez, bref, que l'empire et l'emprise du Net auraient quelque peu éloignés de la lecture des livres, journaux et autres publications en papier – je me suis senti très proche de l'auteur et fortifié dans mes convictions ou dans ce qu'il en reste, quoique amer en constatant, comme lui le naufrage de nos idéaux de jeunesse… A quoi pourrait s'ajouter pour certains le fait qu'avec le temps s'achève pour beaucoup d'entre nous, une époque faite de gens, d'idées et de choses de la vie, que nous avions appris à chérir au point de les hisser au panthéon de nos chimères. C'est vrai, le livre aide à ne pas se sentir seul, à ne plus se sentir étranger, au point qu'il m'arrive parfois de m'interroger si j'ai encore ma place dans cette société piaffant d'impatience, cette Algérie dite – libre et indépendante – et qui retourne, néanmoins, à ses vieux et nouveaux démons, roulant à tombeau ouvert vers l'enfer de la pensée unique, enfer pavé de bonnes intentions, bien sûr, et où le fait de raisonner différemment du sérail ou des autres – l'enfer, c'est les autres – et de l'exprimer – si Bachir Rezzoug appelle cela le « devoir d'impertinence » – vous expose aux pires avanies ! Comme ses maîtres Zénon, Epictète et Sénèque, les avanies, Hamid Grine en a essuyées plus d'une, stoïquement, aime-t-il à répéter. D'abord, en Algérie, au bled qu'il a dû quitter précipitamment pour échapper à une mort annoncée par les lettres de menace des terroristes islamiques, ensuite en exil au Maroc, oui au Maroc, où le disciple des stoïciens et d'Epicure s'est réfugié pour ne pas être trop loin du pays, nostalgie oblige, de son odeur, de son bruit et de sa fureur… meurtrière. Le harcèlement incessant, dont il fut l'objet de la part des services marocains, lui empoisonna l'existence, assure-t-il. Et ce, dès qu'il eut le bonheur ou le malheur de franchir la frontière du pays de notre ami le roi. Paradoxalement l'émir des croyants n'était pour rien, semble-t-il, dans le zèle débridé des sbires du Makhzen à harceler notre compatriote et encore moins Lalla Hasna, la sœur du roi, à laquelle Hamid fut présenté alors qu'elle visitait l'entreprise de publicité, où il travaillait. Notre écrivain en profita pour la croquer dans une esquisse à la… plume, tout en contraste, qu'on en juge : « Elle est tout sourire et main tendue, Lalla Hasna : jean, chemise bleue, les cheveux retenus en chignon, tout est simple, tranchant avec l'apparat qu'on pouvait attendre d'une princesse ». Tombé sous le charme de cette amira, Hamid observe : « Ce qui m'étonna, c'était la chaleur et l'ouverture de cette princesse qu'on décrivait inaccessible et hautaine ». Comme des ombres furtives page 81, Casbah Edition, Alger 2004. N'ayant pas encore lu les autres livres de Hamid Grine, je me garderais bien d'en parler. Par contre, je dirai juste un mot sur le prochain livre à paraître Le Café de Gide. Un livre dans lequel l'auteur de La Nuit du henné rend hommage à sa mère, à ses amis, à la reine des Ziban des années 1950 et à toutes les célébrités – Gide, le prix Nobel de littérature y compris – qui l'ont visitée et avec un vif plaisir, se sont attablées pour siroter un thé à la menthe sur la terrasse de l'ancien café Seksaf, ouvert 24 heures sur 24, à l'instar du café Fichaoui du Caire ou comme, toutes proportions gardées, Le café de Flore, Bd Saint-Germain des Prés à Paris. « Gide n'est qu'un prétexte. C'est mon livre le plus personnel, sans doute. J'ai mis six ans à le terminer », nous a confié Hamid Grine.